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et Kotarbinsky soient des peintres dont la Russie contemporaine a le droit d’être fière. Aucun miracle ne s’est encore accompli à Saint-Vladimir, aucune Vierge n’y a pleuré de vraies larmes comme fit la Vierge de Novgorod sur les malheurs de ceux qui souffrent. Peut-être remarqueront-ils, pour s’en scandaliser, que les images sont mises à de nouvelles modes ; que les quatre ailes, par exemple, dont s’enveloppent les chérubins tremblans devant la face du Très-Haut sont faites de plumes de paon au lieu d’être parsemées de beaucoup d’yeux selon les règles de l’iconographie grecque aussi étroites, aussi rigides que peuvent l’être les bandelettes dont s’enveloppe une momie. Quoi qu’il en soit, je gage que les pèlerins qui abordent Saint-Vladimir n’y éprouvent guère que de l’étonnement et de la curiosité. Ils se promènent ébaubis, un peu gênés, comme dans un palais. Leur Dieu n’est pas là ; ce n’est pas pour eux qu’est construite cette église d’un style très pur et très calme qui plaît aux gens de goût, aux détracteurs de la superstition, aux esprits cultivés désireux de voir s’assagir l’effervescente piété populaire.


Ceci tuera cela... Ce mot que l’auteur de Notre-Dame de Paris applique à la lutte du livre et de la cathédrale me revient irrésistiblement au sortir de Sainte-Sophie, en passant, — après un coup d’œil jeté sur quelques ruines informes, précieusement conservées, qui marquent remplacement du couvent de Sainte Irène et de la fameuse Porte Dorée, — devant le portique à colonnes nombreuses de l’Université, un grand édifice du rouge le plus dur construit dans le style absolument glacial qu’affectionnait Nicolas Ier. Fenêtres closes, aspect morne, l’aspect de tombeau qu’ont pris depuis tant d’autres universités fermées successivement sur toute l’étendue de l’Empire. C’est à Kiev d’abord que se produisirent, pour des causes futiles qui ne furent que prétexte de revanche contre une longue et lourde tyrannie, les actes d’insubordination réprimés avec une telle rigueur durant l’hiver de 1901. Et on sait quelles furent les suites de ces mesures qui dispersèrent dans des régimens ou envoyèrent en exil les étudians compromis : la manifestation dont à Pétersbourg la place de Kazan fut le théâtre, la charge des Cosaques armés de leur terrible nagaïka, les morts, les arrestations ; l’interdit lancé par l’église contre Tolstoï, qui avait élevé la voix en faveur de libertés méconnues ; puis le départ de plusieurs centaines d’étudians pour l’étranger.