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se cacher derrière de grands murs à l’opposé de l’apparition un peu théâtrale de sa rivale latinisée, Saint-Marc de Venise. Lorsque, venant de la Lavra, qui forme au Sud-Est comme une ville à part, nous débouchons sur la place de la Cathédrale, rien ne frappe nos yeux tout d’abord qu’une jolie statue équestre en bronze, celle de Bogdan Khmeltzki, l’hetman des Cosaques Zaporogues, lesquels, au milieu du XVIIe siècle, se donnèrent spontanément à la Russie. Sur un cheval qui se cabre au sommet d’un rocher naturel enguirlandé de pampres verts, il accourt, le bras levé, un serment de fidélité à la bouche, serment qui ne devait pas être tenu par ses successeurs, car on connaît l’histoire de Mazeppa ; mais ce qu’avait commencé la bonne volonté des Cosaques, la force des Empereurs l’acheva : c’en était fait de l’indépendance de l’Ukraine.

Où donc cependant est Sainte-Sophie sur cette place qui porte son nom ?

Un clocher s’élevant au-dessus des constructions environnantes annonce tout au moins sa proximité. Partout les églises byzantines sont séparées de leur clocher. Celui-ci est chargé d’ornemens en relief. Il se compose de quatre arcs superposés, qui ne renferment pas moins de vingt cloches formant une délicieuse sonnerie accordée, de sons clairs et cristallins ; mais ce campanile date de deux cents ans peut-être, et nous cherchons un temple antérieur aux églises les plus anciennes de la Russie ; le temple où les premiers hiérarques offrirent le saint sacrifice, où furent élevés au rang suprême les premiers souverains, longtemps avant la formation de l’empire proprement dit.

Un guide s’offre à nous introduire sous une voûte garnie de petites boutiques d’imagerie religieuse, qui aboutit à la cour des Miracles : comment nommer autrement le séjour habituel des mendians les plus hideux ? Ils grouillent comme des larves sans bras, sans jambes ou sans yeux dans la poussière dont leurs visages et leurs guenilles ont la couleur.

Une porte étroite et basse s’ouvre. Vous passez de l’éclat éblouissant d’une belle journée d’août dans la demi-obscurité mystérieuse de ce grand vaisseau dessinant la croix grecque au centre d’un rectangle et absolument couvert de peintures ou de mosaïques. Rien ne peut rendre l’effet de la figure principale qui se détache, debout sur une pierre, drapée de voiles brillans, les mains levées dans une attitude hiératique, au-dessus de