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revenus du couvent dépassent 300 000 roubles. Le trésor de la cathédrale est un des plus considérables de la Russie ; cependant beaucoup d’églises recèlent sous forme de vases sacrés, de croix pastorales, de bâtons pontificaux, de mitres, d’évangéliaires, de chasubles, de dalmatiques, un amas d’orfèvrerie sans prix, des ruissellemens de perles et de pierres précieuses. Le trésor du couvent de Troïtsa, l’une des taures dont Catherine II confisqua les terres pour en faire des domaines de l’Etat, est évalué aujourd’hui à 650 millions de roubles ! Il faut avouer que ces chiffres sont scandaleux lorsqu’on pense aux famines qui sévissent en Russie, à la misère de certaines régions du Nord où, faute de pain, les paysans passent l’hiver engourdis sur leur poêle comme des marmottes, presque sans manger ! Mais ces affamés ne gardent pas rancune aux trop riches couvens ; ils font ce qu’ils peuvent au contraire pour ajouter, en se retirant le nécessaire, à ce qui leur paraît être la splendeur obligée d’une majesté divine. La somptueuse cathédrale de la Lavra de Kiev, avec les églises et chapelles secondaires qui l’entourent, les dômes dorés qui, par groupes de cinq ou de sept, scintillent dans le feuillage, représentant pour eux les demeures de la cité de Dieu, donne à ces malheureux, logés au village dans des huttes de roseaux et de glaise, une vision exaltée du Beau, qui tout le reste de l’année sert d’aliment à leurs rêves.

Même affluence à Sainte-Sophie, où nous nous rendons ensuite. Sur les dalles c’est une jonchée immobile de corps humains recevant la bénédiction du prêtre. Cette foule, si semblable à celle que nous venons de quitter et non moins nombreuse, ferait croire vraiment que les pèlerins de l’Assomption ont le don d’ubiquité. Aucun d’eux ne manque sans doute, après s’être prosterné à la Lavra, de venir dans la très sainte métropole, mère de toutes les églises russes, saluer Notre-Dame d’Orient ou, comme ils nomment encore cette figure gigantesque du grand sanctuaire, « le Mur Inébranlable. »

Sainte-Sophie couronnée de ses douze dômes a pour piédestal la plus haute des collines qui supportent le vieux Kiev. Jaroslav le Sage l’érigea en 1037 pour rappeler à ses sujets chrétiens Sainte-Sophie de Constantinople, le temple d’où leur était venue la vraie foi, et s’égaler du même coup aux empereurs Constantin et Justinien. Tout, en effet, dans cette seconde Sainte-Sophie est oriental, tout, jusqu’à cette façon de se voiler pour ainsi dire, de