Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/384

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le peintre Vasnetzov, se présente à votre esprit : le souverain à figure de pontife ou plutôt de mage, couronne en tête, vêtu de riches étoffes, étincelant de joyaux, debout, les bras levés pour bénir, au milieu de la foule des guerriers, des évêques et des moines à longue barbe, portant les évangéliaires, la croix grecque, les icônes. Au-dessus, les nuées ouvertes et le Christ présent, tandis qu’à la surface du fleuve une vivante écume semble flotter, des êtres de tout âge plongeant jusqu’aux épaules, l’effarement d’une extase sauvage sur leurs faces de barbares. C’est l’immersion générale d’un peuple tout entier baptisé en bloc. Kiev n’avait pas alors les édifices qui nous apparaissent là-haut de gradin en gradin ; mais la rive opposée, absolument plate jusqu’à l’horizon, ne doit pas avoir beaucoup changé. Les débordemens périodiques s’y opposent ; ils la laissent inhabitée sur de grandes distances. Tous les ans au printemps, lors de la débâcle des glaces, la campagne à perte de vue se transforme en un immense lac jaunâtre ; puis, l’été venu, les eaux se retirent et découvrent des bas-fonds très vite cachés sous une épaisse végétation de roseaux, de saules et d’osiers, séparant comme feraient des îles les branches innombrables du fleuve. Jusqu’à la Mer-Noire les bancs de sable et les rapides tendent alternativement leurs pièges. Pourtant le Dnieper est la grande artère d’un commerce très actif ; mais les gros bateaux à vapeur ne circulent pas dans la saison où nous sommes, et les petits risquent de rester engravés jusqu’à ce qu’un remorqueur vienne à leur secours. A voir les prairies qui verdissent le lit du Dnieper, on les croirait permanentes. Des troupeaux y paissent parmi les saules ; des cabanes s’y sont éparpillées ; c’est le refuge du bétail quand la steppe brûlée n’offre plus de pâture.

Nous avons pris un de ces phaétons découverts à deux chevaux qui, avec le petit drojki, où il n’y a guère de place que pour une personne, représentent les fiacres. Le cocher a son numéro attaché dans le dos ; il se gonfle autant que possible dans sa svitka de drap bleu, car c’est le devoir d’un cocher russe d’être gros. Les cochers de voitures particulières en donnent l’exemple : pour eux un embonpoint considérable est obligatoire ; cette exigence augmente avec le luxe de l’équipage. Le nôtre, si modeste qu’il soit, marche bien et vite. Sans nous arrêter, nous traversons les quartiers neufs du centre, la ville des Tilleuls, séjour de l’aristocratie ; le Krechtchatik, large rue élégante où se