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comment, à travers les marines successives ou les diverses époques d’une même marine, les auteurs de périples se copient les uns les autres. A la mode de nos Instructions nautiques, à la mode des périples grecs ou des portulans italiens, les vieux périples sémitiques se transmettaient dans les mêmes termes les mêmes observations. Himilcon répéta pour Aviénus ce que ses prédécesseurs avaient raconté déjà au poète de l’Odyssée. Car c’est un périple sémitique, — ou une traduction de périple sémitique, — que le poète odysséen eut devant les yeux. Au seul contenu de ce périple, on pourrait deviner qu’il n’était pas grec : il nous décrit des parages inconnus aux Grecs de ce temps-là ; les Achéens n’étaient pas allés jusqu’aux Colonnes ; Ithaque est pour les Achéens odysséens « la dernière île vers le couchant ; » l’île de la Cachette ne leur était pas connue. Mais le texte même et les noms odysséens nous donnent encore un plus sûr argument : Abila-Atlas et Ispania-Kalypso forment des doublets tellement unis que ces jumeaux ont sûrement la même origine ; or ces doublets sont gréco-sémitiques.

Et voyez d’autre part comment, dans le voisinage des Colonnes, les us et coutumes des premiers navigateurs ont laissé leurs traces. Les Sémites de Carthage ou de Tyr, comme leurs cousins d’Israël, devaient avoir le nombre sept pour nombre rituel. Sept domine les traditions et les mesures du détroit. Atlas est le père des sept, Hespérides. A ses pieds est le monument des Sept-Frères. Les roseaux merveilleux y ont sept coudées de haut. Une caverne merveilleuse y a sept stades de profondeur. Entre les Colonnes et Carthage, il y a sept jours et sept nuits de navigation. Le détroit a sept stades de large, disent les uns, septante stades, disent les autres, etc., etc. Hérodote, qui use au contraire du système décimal des Grecs, rythme tout par dix et met dix jours d’intervalle, par exemple, entre les tertres de sel qui jalonnent le Rempart des Sables à travers toute la Libye. Or il semble que l’Odyssée use concurremment des deux systèmes. La première tempête, qui chasse Ulysse des mers grecques vers l’île de Kalypso, le ballotte durant neuf jours et le pousse la dixième nuit sur l’île de la Cachette. Mais, dans cette île sémitique, Ulysse reste sept ans prisonnier. La huitième année seulement, Zeus ordonne à Kalypso de le délivrer et déclare que le héros arrivera le vingtième (10x2) jour chez les Phéaciens. Ulysse construit son radeau ; il travaille quatre jours et le cinquième