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dresse sa colonne cylindrique jusqu’aux nuages où sa tête va se perdre.

Les Phéniciens avaient donné le nom d’Adila à ce Mont-aux-Singes, et les Anciens nous préviennent qu’en phénicien, ce mot signifie « la haute montagne. » Plus exactement, la racine sémitique abal signifie enlever, dresser, charger un fardeau : Abila, comme on voit, n’est que l’équivalent de l’Atlas grec ; c’est aussi le portant du ciel, le géant qui charge sur son dos la voûte étoilée. Abila-Atlas forment encore un doublet gréco-sémitique, et rien ne prouverait mieux la valeur de cette étymologie que tel fragment d’un vieux périple carthaginois, traduit en vers latins par le poète de la décadence R. Aviénus : « Kalpè (Gibraltar) est une échine de roche ; Abila est un pic qui de sa tête soutient le ciel. »


... cœlum vertice fulcit
Maura Abila.


L’Odyssée, toujours minutieuse, semble copier nos plus exactes Instructions. Celles-ci, en décrivant le Mont-aux-Singes, nous parlaient de ses deux sommets coniques, et l’Odyssée n’ignore pas qu’Atlas a plusieurs colonnes, un faisceau de colonnes pour séparer le ciel de la terre. Mais, en réalité, ces deux sommets tout voisins ne font qu’une seule et même montagne, et l’Odyssée n’ignore pas que le seul Atlas possède les deux Colonnes.

Au pied d’Atlas-Abila, qui est leur Mont-aux-Singes, nos Instructions décrivent une petite île toute proche de la cote africaine, si proche même que du large on ne la distingue pas. Elle porte le nom espagnol de Perejil. « Quoique haute, disent les Instructions, et terminée par des falaises à pic, Perejil se distingue à peine au milieu des hautes terres du Mont-aux-Singes, dont elle est entourée. » Durant l’antiquité classique et durant les temps modernes, les navigateurs ont fréquenté surtout la côte espagnole du détroit et délaissé la rive africaine. Aussi Perejil leur est-elle demeurée presque inconnue. En suivant leur route habituelle sur l’autre rive du détroit, au long de la côte espagnole, ils ne pouvaient même pas l’apercevoir. Mais, si les marins d’Europe l’ignorent, toutes les marines, qui ont exploité ou possédé cette côte africaine, la connaissent. Les Espagnols, maîtres de Ceuta, lui ont imposé le nom de Perejil, file du Persil.