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égyptiens nous forcent à l’hypothèse qu’au XVIIIe siècle avant notre ère, le genre littéraire du périple existait déjà. Sur les murs de Deir-el-Bahari, la reine Haïtshopitou a voulu conter et dépeindre les belles navigations de ses flottes vers les Échelles de l’Encens, et nous avons conservé les récits et les tableaux de ce périple pharaonique. M. G. Maspero, qui l’étudia, suppose avec raison que, disciples encore en cela des modes égyptiennes, les Phéniciens empruntèrent à l’Egypte l’habitude d’exposer dans leurs temples leurs périples écrits ou dessinés : le périple d’Hannon, dit la traduction grecque, était exposé à Carthage dans le temple de Kronos.

Je crois que les premiers navigateurs grecs virent ces périples phéniciens, qu’ils en reçurent des copies et que leur plus ancien périple, l’Odyssée, n’est que la mise en vers grecs et en légendes poétiques de ces Instructions phéniciennes. Que l’on ne crie pas à l’impiété révolutionnaire d’une pareille opinion ! Mais que l’on prenne deux épisodes des Aventures d’Ulysse, le séjour chez Kalypso et la rencontre de Nausikaa, et que l’on voie si le charme et l’émotion de ces beaux vers sont détruits, quand la vision nette, la carte et les photographies des lieux donnent à ces tableaux un cadre de précision et comme un fond de réalité.


III

L’île de Kalypso a-t-elle réellement existé ? ou n’est-elle qu’une Action poétique, un Eldorado, un paradis rêvé par les navigateurs d’alors et décrit par le poète au gré de son imagination et des contes populaires ? Entre ces deux alternatives, on penche, à la première lecture du texte, vers la seconde. C’est la plus simple. Elle nécessite le moins de recherches et le plus de soumission aux opinions communément reçues. Le doux Fénelon a d’ailleurs embrumé cet horizon lointain de toutes les rêveries de son Télémaque. Il est de sens commun que l’île de Kalypso n’a jamais existé. Mais, si l’on fait du texte une étude « plus homérique, » il apparaît bientôt que certains détails, certaines épithètes et certains noms propres caractérisent, d’une part, notre site et le localisent, d’autre part, dans une région strictement définie :


Ulysse, dit Athèna, supporte des [maux loin de ses amis, dans une île cerclée de courans, qui se dresse comme un nombril sur la mer. Dans