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folles rêveries des Arabes : « Bâtir une vaine tératologie sans aucun fondement de vérité n’est pas homérique, » dit Strabon. Il vaut mieux rapprocher l’Odyssée de tels ou tels poèmes géographiques, demi-scientifiques, utilitaires, que composèrent ou traduisirent les Grecs et les Romains pour codifier leurs découvertes et celles d’autrui. Il y aurait quelque irrévérence sans doute et une grosse erreur à pousser jusqu’à l’extrême ce rapprochement entre Homère et Scymnus de Chios ou Aviénus. Il faut pourtant l’avoir présent à l’esprit. Il ne faut jamais oublier les tendances utilitaires de l’esprit grec : leurs poètes se proposent d’abord d’instruire ou de moraliser leur auditoire. Car leurs poètes les connaissent et s’adaptent à leurs goûts. Ces marins écoutent plus volontiers les vers qui peuvent les servir dans leurs navigations. Tout en passant une heure agréable, ces hommes pratiques veulent apprendre les chemins des eldorados, « la longueur du voyage et le retour à travers la mer poissonneuse, » comme dit Ulysse lui-même.

Il faut donc étudier et traduire l’Odyssée, non pas à la façon des rhéteurs et manieurs de Gradus, qui n’y voient qu’un assemblage de beautés et d’épithètes poétiques. Dès l’antiquité, certains ne tenaient Homère que pour un conteur de fables : « Ératosthène, dit Strabon, prétend que le poète ne cherche que l’amusement et non la vérité. » Mais une école adverse, celle « des Plus Homériques, qui suivent vers par vers l’épopée, » savait, dit le même Strabon, que la géographie d’Homère n’est nullement inventée, que « le poète est, au contraire, le chef de toute science géographique : » ses récits sont exacts, « plus exacts bien souvent que ceux des âges postérieurs ; ils contiennent sans doute une part d’allégories, d’apprêts, d’artifices pour le populaire ; mais toujours, et surtout dans les Voyages d’Ulysse, ils ont un fondement scientifique. » L’étude des Voyages d’Ulysse vérifie pleinement la justesse de cette phrase. Les descriptions homériques les plus apparemment fantaisistes ne sont toujours qu’une exacte, très exacte copie de la réalité. Le plus souvent, en regard des vers de l’Odyssée, on peut copier quelque passage de nos Instructions nautiques ou mettre l’une de nos cartes marines.

Pour illustrer cette exactitude des descriptions odysséennes, les cartes et photographies des lieux sont même d’un indispensable secours : seules, elles peuvent nous donner l’explication