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mobile de ma conduite est de devenir ministre. Cela m’affaiblit, et, pour ne pas donner créance à ce bruit, il importe que je continue à me tenir à l’écart de toutes les cérémonies et réunions officielles, car je tiens à ce qu’on me considère comme un honnête homme. — Il suffit, dit-elle, d’avoir causé un instant avec vous pour n’en pas douter. — Mais je ne puis pas causer avec tout le monde et j’ai pour maxime de respecter les petits préjugés de mon parti afin de me donner le droit de braver les grands. — C’est très bien, » dit-elle.

Elle se tourna vers sa dame d’honneur, faisant signe à chacun de se rapprocher ; elle prit une broderie et très gaiement engagea une causerie générale mondaine, à laquelle je ne me mêlai point, admirant seulement l’agrément de verve avec lequel elle se prêtait aux sujets les plus dissemblables. Un instant, elle conta une petite anecdote dans laquelle un Marseillais se trouvait en scène. « Prenez garde, lui dis-je en riant, j’en suis un. — Je le sais, » me répondit-elle d’un geste aimable.

Plus que de sa beauté où tant de noblesse rehaussait tant de grâce, je fus émerveillé de son aptitude à tout comprendre et à tout discuter, de son intelligence prime-sautière, de sa parole vive, animée de saillies originales et parfois de chaude éloquence ; et j’emportai la conviction qu’une telle nature ne pouvait se tromper qu’à la Corneille, en haut.

Le prince Napoléon me conta quelques jours plus tard qu’elle avait dit : « Il m’a parlé sans aucun embarras, comme on le fait avec une personne en laquelle on sent de la sympathie et à qui l’on veut plaire ; je lui sais gré d’avoir été ainsi. » Et le Prince ajouta : « Maintenant que vous êtes devenu possible, Rouher est votre ennemi. »


X

On eût dit que le prince Napoléon n’eût qu’une préoccupation, celle de se rendre impossible. Au lieu de rester à Paris auprès de l’Impératrice en l’absence de l’Empereur, comme l’eût exigé sa qualité de vice-président du Conseil privé, il choisit ce moment pour aller prononcer un discours à Ajaccio, à l’inauguration du monument élevé à Napoléon Ier et ses frères (15 mai 1865). Le discours est beau, et il présente une synthèse saisissante dans sa