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Morny accueillit mes ouvertures sans empressement, plutôt d’un air de refus. « Je n’ai jamais fait de mal au prince Napoléon ; il n’a cessé de m’être hostile, il m’a empêché une fois d’être président du Corps législatif ; il n’a pas voulu entrer avec moi dans le Conseil privé, etc. Il a de l’esprit, mais il manque de bon sens. » Cependant il ajouta : « Puisque vous me le demandez, je ne veux pas vous refuser. Je ne devais pas aller à son bal, j’irai quoique très souffrant. »

Le matin du bal, je reçus de son secrétaire Lépine le billet suivant : « M. le duc de Morny voudrait bien vous voir ce matin pour que vous jugiez par vous-même de son état de souffrance et de l’impossibilité dans laquelle il est de se rendre ce soir au bal de S. A. I. le prince Napoléon. M. le Président en est désolé, surtout après ce qui s’est passé, et il vous priera d’être auprès de S. A. I. l’interprète de ses regrets. Il est dans l’impossibilité de vous écrire lui-même, n’ayant pas quitté le lit. M. le Président me charge d’ajouter qu’il espère décider Mme la duchesse de Morny à aller, ce soir, au bal du Palais-Royal avec Mme la marquise de Lavalette, bien qu’elle n’ait jamais eu l’honneur de faire la connaissance du prince Napoléon. » (11 février 1885.) La duchesse de Morny se rendit, en effet, seule au bal, à la surprise générale.


IV

J’avais trouvé Morny souffrant, non au point de m’alarmer. Cependant je vins le visiter à peu près tous les deux jours, et ces relations, qui allaient être à jamais interrompues, devinrent de plus en plus expansives, confiantes. J’étais admis dans son intimité la plus étroite, qui se composait surtout de M. de Flahaut, vieillard charmant, encore vert et très libéral, et de La Valette, homme séduisant, rempli de bonne grâce et d’esprit. Morny se croyait si peu menacé qu’il revenait constamment de lui-même, sans y être provoqué, à ses projets politiques. Un jour il me dit : « J’ai rapporté à l’Empereur ce que vous m’avez exposé ; j’ai ajouté qu’il serait bien désirable qu’il pût causer avec vous. — Je ne demande pas mieux, fit l’Empereur ; seulement il faut arranger cela de manière à ne compromettre ni vous, ni lui ; conduisez-le un soir, à cinq heures, sans qu’il ait