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II

Dans la solitude où je me retirais chaque année, j’attendais l’ouverture de la session avec non moins de tranquillité, malgré les difficultés créées par ma rupture avec la Gauche, comptant plus que jamais sur le concours de Morny. J’écrivais à la comtesse d’Agoult : — « Je suis tout à fait de votre avis, que le meilleur moyen de triompher de ses ennemis n’est ni de s’en occuper, ni de s’en irriter, mais simplement d’acquérir silencieusement une valeur intellectuelle et morale suffisante pour braver leurs attaques… Quant à la politique du gouvernement, je ne la comprends pas. Ameuter contre soi les conservateurs sans s’appuyer sur les démocrates paraît d’une combinaison profonde : on garde la liberté de ses allures, et on peut, au lieu d’être le serf des uns ou des autres, les maîtriser et les contenir les uns par les autres. Le jeu est, en effet, habile, mais, comme tous les jeux en politique, pour un temps. Le seul résultat à la longue sera d’amener tous les partis à prendre le même mot de ralliement, liberté, les uns par colère, les autres par ruse, quelques-uns par conviction, tous dans le dessein de renverser. Or, quand tous les partis qui divisent un pays ont pris une devise commune et d’une généralité suffisante, le gouvernement qui ne la leur enlève pas par des concessions opportunes est bien malade. Au point de vue de l’art, j’enrage de le voir compromettre une partie sûre, infaillible quoique paraissant audacieuse, originale à coup sûr, et qui effacerait bien des dates du passé. Quoi qu’il fasse d’ailleurs, il faut être plus patient qu’il n’est obstiné, ne jamais se départir systématiquement d’un incorrigible optimisme et d’une espérance indestructible. À certains momens, cela donne l’air d’un niais, à d’autres, celui d’un coquin, à la fin, cela assure la puissance sur l’opinion. Si l’on me demandait quelle est la qualité la plus rare et la plus nécessaire à un homme politique, je dirais : de se laisser traiter sans s’émouvoir de niais ou d’ambitieux vulgaire. Ne pas être pressé de déballer et d’étaler sa vertu sur le marché, quelle preuve de force et d’honnêteté ! On prépare ainsi à l’histoire, qui le plus souvent vit d’une maigre pitance, le régal d’un caractère, ce qu’elle préférera de plus en plus à un talent, surtout un talent de parleur fort peu appréciable dans