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Vous savez les nouvelles politiques. Je vois des gens qui reviennent de Paris ; les troupes sont pour M. Bonaparte, l’Assemblée dissoute est impopulaire, tout le monde est tranquille. Il est clair qu’il va prendre le pouvoir royal avec des formes républicaines. Les campagnes sont pour lui. Les démocrates sont accablés et poursuivis depuis deux ans. Personne ne remuera. En voilà pour quelques années. La France depuis soixante ans est dans un va-et-vient perpétuel, allant de la monarchie à la république, de la liberté à l’autorité. Cela durera longtemps encore. Nous sommes trop et trop peu démocrates pour souffrir Tune ou l’autre ; mais les idées libérales pénètrent chaque jour plus avant et s’affermissent. Dans sept ou huit révolutions sans doute, elles seront entièrement maîtresses. Malades de la monarchie pendant le siècle dernier, nous sommes dans ce siècle en convalescence, mais avec des rechutes, et ce ne sera qu’au siècle prochain que nous recouvrerons la santé. Il faut s’habituer à cela et prendre patience, nos enfans seront plus heureux que nous.

Le recteur et le principal ont hier assisté à ma classe et le recteur m’a fait de grands complimens. Je vis fort seul ; mon feu, mon piano, mes livres me distraient quand le travail m’a fait mal à la tête. — il y a ici une bibliothèque, où je trouve quelques livres d’histoire ; le jeudi et le dimanche soir, je relis ceux que j’ai emportés. Le théâtre est mauvais, dit-on. Les affiches marquent qu’on y joue des drames larmoyans et sanglans. Je n’y vais pas, pour ne pas m’affadir le cœur.

Notre année à l’Ecole était la dernière des bien pensantes. Mes amis m’écrivent que la nouvelle promotion est toute cléricale. Voilà le sanctuaire lui-même envahi.

Pour moi, je suis heureux. A part quelques contrariétés et inquiétudes inévitables, je n’ai rien à désirer. Je suis occupé d’une façon noble et élevée, j’augmente mes connaissances ; je vis dans la science, dans la plus belle des sciences, j’ai de la santé, des amis, assez d’argent, peu de besoins. Que me faudrait-il de plus, sinon de vous voir !


A Prévost-Paradol.


Nevers, 11 décembre 1851.

Cher ami, la Nièvre est tranquille : Clamecy et cinq ou six bourgs qui axaient des barricades sont pris. On a fusillé suffisamment ;