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de ces demandes : ils ont fait leur devoir en déclarant que ce n’était pas sous la menace de la rue qu’ils prendraient une détermination où serait impossible de ne pas voir, de leur part, la pire des faiblesses Pendant trois jours, la discussion s’est poursuivie à la Chambre, vive, véhémente, enflammée. Des discours éloquens ont été prononcés. Nous avons déjà dit un mot de celui de M. Beernaert qui a produit un grand effet. M. Paul Janson a parlé à son tour au nom de l’opposition radicale, et il n’en a pas produit un moindre sur ses amis. MM. Vandervelde et Anseele ont fait entendre les revendications passionnées des socialistes. Du côté de la majorité, M. Woeste a recommandé la résistance irréductible, implacable. Quant au gouvernement, il s’est exprimé par l’organe de M. de Smet de Naeyer, ministre des Finances et des Travaux publics, qui a été naguère le principal auteur de la réforme de la représentation proportionnelle. Les bons argumens ne lui ont pas manqué pour condamner l’entreprise actuelle ; mais il a fait surtout sentir, et, au fond, tout le monde se rendait parfaitement compte qu’on ne pouvait pas céder à l’émeute. A ceux qui demandaient la dissolution de la Chambre et la consultation du pays, — M. Neujean en avait fait la proposition au nom des libéraux, — il a répondu en réservant la liberté de la Couronne, ce qui laissait en somme une espérance à tout le monde. C’est d’ailleurs un fait remarquable qu’au cours de ce débat, et plus tard dans leurs manifestations hors du parlement, tous les partis et les socialistes eux-mêmes ont fait appel à diverses reprises à l’autorité du roi, considéré comme l’arbitre impartial des partis.

On sait que Léopold II n’est pas adversaire des réformes électorales, et on croit qu’il n’a pas dit à cet égard son dernier mot. Mais ce n’est pas sous les sommations arrogantes de l’émeute que ce mot pouvait être dit : un gouvernement qui l’aurait fait aurait abdiqué. Au reste, l’utilité d’une dissolution de la Chambre et d’un appel au pays paraissait en ce moment très contestable, et cela pour deux motifs : le premier est que, si la réponse du pays n’avait pas donné satisfaction aux partisans du suffrage universel pur et simple, ils n’auraient pas manqué de contester l’autorité d’un corps électoral qu’ils ont déjà répudié ; le second est que le renouvellement partiel de la Chambre doit avoir lieu normalement dans le cours du mois de mai, et qu’on aura alors, sans qu’il soit besoin de recourir à une mesure exceptionnelle, une idée exacte de l’état de l’opinion.

Nous avons dit que le parti socialiste se défendait d’avoir conseillé l’émeute et poursuivi la révolution : il y a cependant un fait dont il