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prudence n’exclut pas la tendance. Il est hors de doute, comme le dit Armand Gautier, que « la vraie science ne saurait rien affirmer, mais aussi rien nier, au delà des faits observables, » et que « c’est une science à rebours que celle qui ose assurer que seule la matière existe et que seules ses lois gouvernent le monde. » Il n’en est pas moins vrai qu’en établissant la continuité entre la matière brute et la matière vivante, on rend vraisemblable, aussi, la continuité entre le monde de la vie et le monde de la pensée.

D’ailleurs, et sans vouloir entrer dans le vif de cette controverse, il n’est que trop évident que l’on ne s’entend pas sur les termes que l’on emploie, et particulièrement sur celui de « matière » et de « lois de la matière. » Il n’est pas nécessaire de répéter que le moule géométrique où Descartes avait enfermé la philosophie est brisé depuis longtemps. Le célèbre philosophe, en définissant la matière par le seul attribut de l’étendue, ne nous permet pas d’en comprendre l’activité, révélée par tous les faits naturels ; et en définissant l’âme par la seule pensée, il nous ôte la ressource d’y chercher le principe de cette activité matérielle. Cette matière purement passive et qui ne consiste que dans l’étendue, cette matière nue était un pur concept pour Leibniz. Un philosophe de notre temps, M. Magy, a dit que c’était une illusion sensorielle. Les corps de la nature nous offrent une matière revêtue d’énergie, formée par l’union indissoluble de l’étendue avec un principe dynamique inséparable. Les stoïciens déclaraient que la matière est mobile et non pas mue, active et non pas inerte. C’est aussi la pensée de Leibniz qui lui associait indissolublement un principe actif, une « entéléchie. » D’autres ont dit que la matière est un « assemblage de forces ; » l’espace, « le lieu de forces, » ou avec le P. Boscowich « un système de points indivisibles et inétendus. »

Dans cette conception, l’école matérialiste trouve l’explication de toute phénoménalité. Propriétés physiques, phénomènes vitaux, faits psychiques, ont leur fondement dans cette activité immanente. L’activité matérielle est un minimum d’âme ou de pensée qui, par une gradation continue et une complication progressive, sans solution de continuité, sans saut brusque de l’homogène à l’hétérogène, s’élève à travers la série des êtres vivans jusqu’à la dignité de l’âme humaine. — L’observation des transitions, décalque imparfait de la méthode géométrique