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dont on peut regarder Descartes comme le fondateur, à défaut des philosophes grecs. Ces idées jetèrent assez d’éclat pendant deux siècles, et se montrèrent assez fécondes avec Borelli, Pitcairn, Haies, Bernouilli et Boerhaave pour justifier le mot de Bacon que « la philosophie d’Épicure avait fait moins de tort à la science que celle de Platon. » L’école iatro-mécanicienne dura, d’une existence tenace, jusqu’à Bichat.

C’est par une réaction contre ses exagérations que Stahl créa l’animisme, et l’école de Montpellier le vitalisme. On peut se faire une idée du caractère outré de ses explications par la lecture de Boerhaave : pour ce célèbre médecin, les muscles étaient des ressorts, le cœur était une pompe ; le rein était un crible ; la sécrétion des sucs glandulaires se produisait par le mécanisme du pressoir ; la chaleur du corps résultait du frottement des globules du sang contre les parois des vaisseaux ; elle était plus grande dans le poumon parce que les vaisseaux de cet organe étaient supposés plus étroits que les autres. — L’insuffisance de ces explications amena à l’idée de les compléter par le secours de la chimie naissante. Celle-ci, toute rudimentaire qu’elle fût, voulut sa part dans le gouvernement des corps vivans et dans l’explication de leurs phénomènes ; et l’on vit les distillations, les fermentations et les effervescences jouer leur rôle, rôle excessif et prématuré. L’iatro-chimisme n’est, d’un point de vue général, qu’un aspect de l’iatro-mécanique : c’en est aussi un auxiliaire. Sylvius Le Boë et Willis en furent les représentans les plus éminens. Cette doctrine devait rester effacée jusqu’au temps des grands progrès de la chimie, c’est-à-dire, jusqu’à Lavoisier. Elle a pris, depuis lors, une importance grandissante, particulièrement à l’époque contemporaine. La tendance générale est aujourd’hui de regarder l’acquisition de la forme spécifique ou morphogénie, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus particulier et de plus caractéristique chez les êtres vivans, comme une conséquence de la composition chimique de leur substance.


Les écoles biologiques contemporaines ont fait beaucoup d’efforts pour se dégager de toute compromission philosophique : elles ont écarté, le plus souvent, le problème psychologique ; elles se sont interdit de pénétrer dans le monde de l’âme. Par là, la doctrine physico-chimique de la vie s’est constituée, à l’abri des difficultés et des objections spiritualistes. Mais cette