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analogues dans le monde physique, mais dont nous ne saurions dire qu’ils n’existent pas.


Les archées et les blas de van Helmont n’étaient qu’une première et grossière ébauche des propriétés vitales. Xavier Bichat, le fondateur de l’anatomie générale, fatigué de toutes ces entités incorporelles, de ces principes sans substance que la biologie traînait après elle, entreprit de s’en débarrasser à la manière des physiciens et des chimistes. La physique et la chimie de son temps rapportaient les manifestations phénoménales aux propriétés de la matière, gravité, capillarité, magnétisme, etc. Bichat fit de même. Il rapporta les manifestations vitales aux propriétés des tissus vivans, sinon de la matière vivante. Ces propriétés, on n’en connaissait encore qu’un petit nombre : l’irritabilité de Glisson, — qui est l’excitabilité des physiologistes actuels, — et celle de Haller qui, précisément, n’est autre chose que la contractilité musculaire. — Il s’agissait de découvrir les au très.

Il n’est pas besoin de rappeler, — puisque Cl. Bernard a écrit cette histoire ici même, il y a vingt-cinq ans, — l’erreur commise par Bichat et adoptée par la plupart des savans de ce temps, tels que Cuvier en France, et J. Müller en Allemagne. Ce fut de considérer les propriétés vitales, non seulement comme distinctes des propriétés physiques, mais comme opposées à elles. Celles-ci conservent le corps, celles-là tendent à le détruire : elles sont toujours en lutte : la vie est la victoire des unes ; la mort est le triomphe des autres. De là la définition célèbre de Bichat : « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ; » ou celle de l’Encyclopédie : « La vie est le contraire de la mort. »

Cuvier a illustré cette conception dans un tableau saisissant. Il représente une jeune femme dans tout l’éclat et la force de la jeunesse, brusquement frappée par la mort. Les formes sculpturales s’affaissent, et montrent la saillie anguleuse des os : les yeux tout à l’heure étincelans deviennent ternes : l’incarnat du teint fait place à une pâleur livide, la souplesse gracieuse du corps à sa rigidité. Des changemens plus horribles ne tardent point à se produire. Les chairs passent au bleu, au vert, au noir ; une partie s’écoule en sanie putride, une autre s’évapore en émanations infectes, A la fin il ne reste plus rien que quelques