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Et ici, il n’est pas question seulement des êtres inférieurs ; des plantes que l’on bouture ; de l’hydre que Trembley coupait en morceaux dont chacun régénérait une hydre entière ; des nais que Ch. Bonnet sectionnait en fragmens, qui tous reconstituent une annélide complète.

Le résultat est le même chez les vertébrés supérieurs ; l’expérience est seulement beaucoup plus difficile à réaliser. Au congrès de physiologie de Turin, en 1901, Locke a fait battre le cœur d’un lapin, pendant des heures, aussi énergiquement, aussi régulièrement, que s’il était en place, en le suspendant à l’air libre, dans une chambre à la température ordinaire, sous la seule condition de l’irriguer avec un liquide convenablement composé. L’animal était mort depuis longtemps. Il avait été fricassé et mangé le matin même par le préparateur qui nous montrait ce cœur si actif et si bien vivant qui avait échappé à la casserole. La même expérience se répète dans tous les laboratoires de physiologie, d’une manière plus facile, avec le cœur de la tortue ; cet organe, extrait du corps, mis en rapport avec des tubes de caoutchouc qui représentent ses artères et ses veines, rempli de sang défibriné de cheval ou de bœuf pris aux abattoirs, fonctionne pendant des heures et des jours, lançant le liquide sanguin, dans son aorte de caoutchouc, comme il le lançait dans l’aorte vivante.

Il est inutile de multiplier ces exemples ; arrêtons l’énumération et concluons : on réussit à faire vivre tous les organes, hors de leur place naturelle, pendant plus ou moins de temps : les muscles, les nerfs, les glandes, et jusqu’au cerveau lui-même. Chaque organe, chaque tissu, jouit donc d’une existence indépendante ; il vit et fonctionne pour son compte. Sans doute, il participe à l’activité de l’ensemble, mais on peut l’en séparer sans le reporter, pour cela, dans la catégorie des substances mortes. Il y a, pour chaque partie aliquote de l’organisme, une vie partielle et une mort partielle.

Cette décentralisation de l’activité vitale, chez les êtres complexes, s’est étendue, ultérieurement, des organes aux tissus, et des tissus aux élémens anatomiques, aux cellules. C’est cette notion décentralisatrice qui a donné naissance à la seconde forme du vitalisme, forme adoucie et atténuée, c’est-à-dire au pluri-vitalisme ou doctrine des propriétés vitales.