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de Bordeu, en 1742, il ne fit plus que végéter[1]. Il faut signaler cependant une tentative de restauration de ce système, faite en 1878 par un médecin bien connu de la génération qui nous a précédés, E. Chauffard. Tout en conservant la doctrine dans ses traits essentiels, le savant médecin s’était proposé de la mettre en harmonie avec la science moderne et de la dégager de tous les reproches qui lui avaient été adressés.


Ces reproches étaient nombreux. Le plus grave est d’ordre philosophique. Il est tiré de la difficulté de concevoir une action directe et immédiate de l’âme, considérée comme principe spirituel, sur la matière du corps. Il y a un tel abîme, — creusé par l’esprit philosophique lui-même, — entre l’âme et le corps qu’il est impossible de comprendre un commerce entre eux. On ne saurait seulement entrevoir comment l’âme pourrait devenir un instrument d’action.

C’était là le problème qui tourmentait le génie de Leibniz. Descartes, précédemment, l’avait tranché brutalement, comme Alexandre le nœud gordien : il avait coupé l’âme du corps, et fait de ce dernier une pure machine au gouvernement de laquelle l’autre n’avait point de part. Il attribuait aux forces brutes toutes les manifestations saisissables de l’activité vitale. — Leibniz, lui aussi, dut rejeter toute action, tout contact, tout rapport direct, tout lien réel entre l’âme et le corps et imaginer entre eux une relation simplement métaphysique, l’harmonie préétablie : « Les âmes s’accordent avec les corps en vertu de cette harmonie, préétablie dès la création, et nullement par une influence physique, mutuelle et actuelle… Tout se fait dans les âmes comme s’il n’y avait pas de corps, et tout se fait dans les corps comme s’il n’y avait pas d’âme. » À ce point, on touche presque au matérialisme scientifique. Ce frêle lien de l’harmonie préétablie, qui unit si lâchement le corps à l’âme, il est facile aux matérialistes de l’écarter et de ramener l’organisme sous le seul empire de la mécanique et de la physique universelles.

Le point faible de l’animisme de Stahl était donc la supposition

  1. Bordeu, dans la thèse qu’il soutint à Montpellier, en 1742, à l’âge de vingt ans et qui fonda sa réputation, s’égayait des besognes que les animistes imposaient à l’âme « qui a soin d’humecter la bouche lorsqu’il faut » ou « dont les colères produisent les symptômes de quelques maladies » ou encore « que les suites du péché originel rendent incapable de bien conduire et diriger le corps. »