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en ligne de compte : leur science était restée purement descriptive : elle ne se préoccupait point de l’explication des phénomènes.


Tel était l’état des choses pendant les premières années du XIXe siècle. Il a duré jusqu’au moment où, grâce aux fondateurs de la physiologie contemporaine, Claude Bernard en France et Brücke, Dubois-Reymond, Helmholtz, Ludwig en Allemagne, il se fit une séparation entre la recherche biologique et les doctrines philosophiques. La délimitation s’opéra dans la physiologie proprement dite, c’est-à-dire pour une partie tout au moins du domaine biologique où l’état d’indivision avait subsisté jusqu’alors. Ce fut là une importante révolution, qui fixa les lots respectifs de la science expérimentale et de l’interprétation philosophique. Il fut entendu que l’une finit où l’autre commence, qu’elles se font suite, qu’elles ne doivent pas se mêler. Il y a seulement entre elles une région équivoque qu’elles se disputent. Cette frontière incertaine se déplace constamment, et la science gagne chaque jour ce que perd la philosophie.

C’est un déplacement de ce genre qui a été régularisé, au temps dont nous parlons. Il fut admis qu’en ce qui concerne les phénomènes qui s’accomplissent dans un organisme vivant construit et constitué, il ne serait plus permis de faire intervenir, dans leur explication, d’autres forces ou d’autres énergies que celles qui sont en jeu dans la nature inanimée. De même que, s’il s’agit d’expliquer le fonctionnement d’une horloge, le physicien n’invoquera point la volonté ou l’art du constructeur ni le dessein qu’il avait en vue, mais seulement les enchaînemens de causes et d’effets qu’il a utilisés ; de même, pour la machine vivante, la plus compliquée, comme le corps humain, ou la plus élémentaire comme la cellule, il ne sera pas permis d’invoquer une cause finale, une force vitale, étrangère à cet organisme et agissant sur lui du dehors, mais seulement des enchaînemens et des ressauts d’effets qui sont les seules causes actuelles et efficientes. En d’autres termes, Ludwig et Claude Bernard surtout chassèrent du domaine de la phénoménalité active ces trois chimères : la Force vitale, la Cause finale, le Caprice de la nature vivante.

Mais l’être vivant n’est pas seulement un organisme tout construit et tout constitué. Ce n’est pas une horloge toute faite. C’est