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Comment l’Angleterre a-t-elle laissé se ficher dans son flanc, comme une épine, ce pays de l’Afrique orientale allemande ? On a dit, et la carte le prouve, que les Anglais ne veulent pas de voisins. Adossés dans l’Inde à l’Himalaya, ils sont en Egypte isolés par des déserts, en Ouganda par les marais du Nil, des territoires français. Le Mozambique est comme ces royaumes de l’Inde dont les rajahs règnent et ne gouvernent pas. La Belgique peut mordre à l’Etat du Congo sans inquiéter l’Angleterre. L’Abyssinie est riche en soldats, mais bien pauvre en argent. Le projet anglais de joindre le Tanganyka au Victoria Nyanza réussit à contourner le territoire allemand, mais ce n’est ni la voie géographique ni la voie commerciale, et la possession d’une partie de l’Est allemand serait bien précieuse pour l’Angleterre.

Le chemin de fer spinal, comme l’appellent nos voisins, qui joint le lac Victoria à la côte, est, si cher qu’il coûte (probablement 150 millions), un moyen admirable de domination africaine. En cas de conflit anglo-allemand, l’Angleterre serait, avec son chemin de fer, maîtresse de toutes les rives du Victoria, où elle pourrait jeter des troupes, sans que les Allemands pussent secourir leurs établissemens de cette Méditerranée africaine.

Le rail anglais réunira bientôt l’Inde d’Afrique à celle d’Asie ; il apporte déjà la farine, le riz et les hommes que débarque à Mombasa la British India Company. Les marchands hindous possèdent toutes les caravanes ; dix-huit mille coolies travaillent au chemin de fer. Dans les boues des marais du Nil, l’Angleterre déversera le trop-plein des affamés de l’Inde qui se pressent, en dépit des entraves législatives, pour s’établir en leur nouveau pays. Mais, en même temps, ce chemin de fer donne le moyen de réaliser le tronçon médian de la route du Cap au Caire. Aucun Anglais n’eût pardonné à son gouvernement d’être assez mauvais industriel pour embarquer à Alexandrie sur voie ferrée des rails ou des traverses qui auraient dû faire 3 200 kilomètres pour arriver aux bords du Victoria. Venues de la côte par Mombasa, toutes ces matières lourdes s’en iront au Victoria par 1 000 kilomètres seulement, et de là rayonneront vers le Nord et vers le Sud, pour réaliser le plan de Cecil Rhodes appliqué par lord Salisbury.

La branche du T, qui s’en va vers le Sud, ne comportera ni