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peu de fortification. Le fort Ternan n’était qu’un borna, un village militaire entouré d’une haie d’épines. L’emplacement, de l’avis général, était fort mal choisi. Les mauvaises langues, — il en existe en pays anglais, — insinuaient que l’officier, inventeur de cette station, était grand chasseur et avait choisi, sur le tracé futur du chemin de fer de l’Ouganda, l’endroit le plus giboyeux. Tel quel, il était au bord d’une rivière, dans le fond d’une vallée étroite. Le commandant du fort ne pouvait allumer une cigarette sans que les indigènes, dont les silhouettes ornaient les hauteurs environnantes, en fussent avertis.

La forme de l’enceinte était celle d’un rectangle avec un côté épousant un coude de la rivière. La ligne de défense était formée d’une haie d’épines sèches sans mur ni fossé. L’Afrique est le pays des épines. Il y en a de longues et de crochues, de tous les spécimens ; fraîchement coupées, elles arrêteraient une armée ; mais, sèches comme elles l’étaient, elles eussent brûlé comme de l’amadou. Cette haie, haute d’environ deux mètres et très touffue, eût permis à l’ennemi de jouer à cache-cache avec nous sans que nous eussions pu tirer. L’inconvénient était d’autant plus grave que le terrain environnant était planté d’arbres jusqu’à dix mètres du fort. En Afrique centrale, l’herbe vit presque partout ; mais l’arbre et l’eau sont comme deux élémens inséparables qui se défendent mutuellement contre le soleil. Le long ruban touffu qui couvrait les eaux de la rivière venait border la haie du fort et permettait, non seulement de l’approcher sans être vu, mais masquait toute la rive opposée.

Cette visite du fort passée avec le lieutenant W..., à la nuit tombée, n’avait rien de rassurant, et je me suis dit bien souvent que les Oua-Nandis étaient bien braves gens ou bien malhabiles de ne pas avoir mis dans la nuit le feu aux quatre coins du borna. Ce village était plein de moutons, de bœufs, de femmes et d’enfans appartenant aux soldats, dont les huttes et les tentes, plantées sans ordre, ne laissaient même pas une libre circulation autour de la haie d’enceinte. Tout eût flambé dans la panique de cette smala ; les soldats auraient tiré les uns sur les autres, une lance aurait mieux valu qu’un fusil. Au moyen âge, on n’eût jamais oublié le donjon où se réfugiait le seigneur, quand l’ennemi était dans la baille. Au fort Ternan, il n’y avait pas de ralliement possible.

La composition hétérogène de la garnison du fort est à citer :