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Vingt-quatre milles (40 kilomètres) nous séparaient du fort Ternan. La chaîne n’était pas arrivée et n’arriva qu’à quatre heures. Il était impossible de rejoindre le fort dans la soirée. La situation étant grave, nous prîmes toutes les dispositions en prévision d’une attaque de nuit. Je fis faire un « bonca, » qui est un camp entouré d’épines. Des rouleaux de fil de fer, qui me servaient de monnaie avec les Massaïs, furent étendus entre des troncs d’arbres et constituèrent d’excellentes défenses accessoires. Pendant ce temps, M. C… faisait enterrer la chaîne, qu’on ne pouvait songer à transporter le lendemain dans une marche forcée pour atteindre le fort. Un grand trou fut creusé au milieu du camp, à la lueur des brasiers ; la chaîne y fut descendue ; on fit du feu dessus pour effacer toutes traces de fouilles. J’étais livré à d’assez sérieuses réflexions : je pouvais rétrograder ; sinon, je prévoyais que c’était le premier pas d’un engrenage dont je sortirais difficilement. Mais reculer, en présence du danger qui menaçait mon compagnon de route et sa caravane pendant la nuit et la marche du lendemain, était impossible. Si le fort était pris, M. C…, arrivant avec des hommes exténués, au milieu d’ennemis enorgueillis de leur triomphe, ne pouvait pas espérer se défendre. Néanmoins il n’hésitait pas à rejoindre le fort au plus tôt.

Après avoir pris toutes mes dispositions pour expédier mes papiers à la côte, je crus de mon devoir de ne pas abandonner mon compagnon de route, quelles que dussent être les conséquences, et je me préparai à faire tout le possible pour parer aux circonstances fâcheuses.

La nuit se passa sans incident ; toutes les deux heures, M. C… et moi faisions des rondes. J’avais fait disposer, à l’extérieur du camp, des tas d’herbes sèches ; un tison enflammé en faisait un brasier qui illuminait les profondeurs des bois et donnait aux grands arbres un aspect sinistre. Au milieu du camp, dans la fourche d’un tronc ébranché, se tenait une sentinelle. De son observatoire, le soldat entendit sonner les fils de fer et tira dans la nuit : c’était un léopard en maraude dont nous vîmes les traces le lendemain.

Le 12, M. C… partit en tête avec l’avant-garde forte de vingt soldats. Puis, venait la longue file des porteurs ; je me résignai à faire l’arrière-garde avec une dizaine d’hommes.

Le sentier serpentait par monts et par vaux, passait des