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effet, se sentant dans la main une force suffisante, s’avançait à présent sur la grande chaussée de la Meuse, tout prêt, s’il le fallait, à forcer les obstacles. L’approche de l’armée de secours qui se rassemblait sur la Sambre risquait de mettre les alliés dans une passe fort dangereuse ; ils eurent le bon esprit de n’en point courir l’aventure. Le 6 janvier, Guillaume et Monterey se firent « tristement » leurs adieux[1] ; l’un s’en fut à La Haye, le seconda Bruxelles, et leurs troupes, harassées par trois semaines d’alertes et de manœuvres continuelles, allèrent, dans leurs quartiers, goûter un repos nécessaire. La grande chaussée désormais était libre et « nettoyée » de tout obstacle. « Nous sommes arrivés ici, manda de Philippeville Luxembourg à Louvois, sans mal ni douleur, n’ayant point ouï parler des ennemis[2]. »

La surprise fut vive à la Cour quand on apprit ce dénouement. Des contre-ordres furent dépêchés dans toutes les directions pour rappeler troupes et généraux en marche. « On doit envoyer quérir M. le Prince, écrit Mme de Sévigné, pour le faire revenir, et tons nos pauvres amis[3]. » Condé, déjà parvenu à Vervins, reprit le chemin de Paris. Luxembourg l’y suivit de près. Dès qu’il eut franchi la frontière, il reçut permission de laisser son armée et de gagner la capitale. Le 23 janvier 1674, il fit sa rentrée à la Cour, où l’attendait un accueil « magnifique. » Sa retraite de Hollande fut célébrée à l’égal d’une victoire. On le connaissait de longue date hardi, entreprenant, brillant sur le champ de bataille ; cette marche sans combat le révéla, pour les gens du métier, tacticien et manœuvrier. On remarqua que, pour la première fois, le Roi lui fit une réception cordiale, presque affectueuse. Le bruit courut partout qu’il allait recevoir le bâton de maréchal de France.


Les occasions, d’ailleurs, n’allaient pas lui manquer pour déployer à nouveau ses talens. Deux années de conquêtes heureuses et de succès presque ininterrompus laissaient la France dans une situation plus confuse et plus incertaine, dans une passe plus dangereuse qu’au début de la guerre. La lutte, par suite des récens événemens, allait changer d’objet et d’importance. Il ne s’agit plus désormais de châtier l’insolence de voisins

  1. Gazette de 1674.
  2. 16 janvier 1674. — Arch. de la Guerre, t. 383.
  3. Lettre du 12 janvier 1874. Ed. Monmerqué. «