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princes ne furent plus étonnés, » dit un écrit du temps ; et cet étonnement se traduit tantôt par des plaintes suppliantes, tantôt par des reproches amers. Toutes les lettres de Luxembourg, aussi bien que celles de Louvois, sont remplies, pendant cette période, du récit des « chicanes » et des lamentations des alliés ainsi sacrifiés aux nécessités politiques, et dont le duc raille sans pitié la déception et la colère, « l’ignorance crasse » et le « manque d’entendement[1]. »

La piètre attitude des prélats excuse dans une certaine mesure ces railleries déplacées et diminue la compassion qu’inspirerait leur malheureux sort. Ils récriminent à tort et à travers, négligent les objets importans pour s’attacher à des misères, se suspectent entre eux, se dénoncent mutuellement. Chacun ne songe qu’à noircir son voisin pour se tirer soi-même d’affaire. Tantôt c’est l’évêque de Strasbourg, ministre principal de M. de Cologne, qui avertit sous main le Roi que l’Électeur, son maître, « pourrait être capable de s’accommoder avec L’Empereur, » et qu’il serait prudent de mettre du monde dans ses places, « pour qu’il ne soit plus en état de les livrer aux ennemis[2]. » Le lendemain, c’est ce même évêque, oubliant ses accusations, qui supplie qu’on défende la capitale de l’Électeur, qu’il représente comme affolé par la terreur de l’invasion. Et tel est bien en effet, semble-t-il, l’état d’âme de ce prince de médiocre esprit, éperdu d’épouvante, changeant d’opinion à chaque heure, voyant partout des pièges tendus sous ses pas. Mais ce que chacun d’eux réclame avant toutes choses, c’est qu’on protège ses biens privés contre les représailles hollandaises : « Je vous prie, monsieur, gémit M. de Strasbourg[3], puisque le prince d’Orange a fait brûler un château qui était à moi, de faire savoir à mondit sieur le prince de me faire dédommager en me remboursant quinze mille écus ; qu’autrement l’on brûlera son château de Buren et tous ses autres châteaux, lesquels on peut approcher avec les armes de Sa Majesté. » Quant à Galen, il écrit peu, — sauf quelquefois pour demander de l’argent et des bénéfices, — mais il s’occupe à pêcher en eau trouble, profite du désarroi pour piller sans merci tout ce qu’il trouve en son chemin. « Les troupes de Munster, écrit Luxembourg de Nimègue, ont fait le diable dans ce pays... J’ai

  1. Luxembourg à Louvois, 20 novembre. — Archives de la Guerre, t. 330.
  2. Louvois à Luxembourg, 13 novembre. — Archives de la Guerre, t. 317.
  3. 20 novembre. — Archives de la Guerre, t. 330.