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donner. Tant pis aussi pour nous, et tant pis peut-être pour lui-même, car l’expérience a montré que, dans la recherche de ce dont il éprouve un besoin si vif, il est sujet à se tromper sur la qualité de ce qu’il rencontre, au point de se laisser entraîner dans des aventures, ou de se jeter dans les bras d’un aventurier. Les mêmes causes risquent d’enfanter une fois de plus les mêmes effets. Si la législature prochaine apporte au pays les mêmes déceptions que la dernière, la situation deviendra certainement très grave, et l’histoire nous a montré à maintes reprises comment se résolvent les situations qu’on a laissées ainsi s’aggraver.

Puisque tout le monde fait des vœux, pourquoi ne pas faire les nôtres ? Nous voudrions un gouvernement qui s’opposerait vaillamment à toutes les entreprises collectivistes, et qui d’ailleurs ferait jouir tous les Français des bienfaits de la République par la tolérance et par la liberté. Notre programme se résume en deux mots : ni collectivisme, ni jacobinisme. On dira peut-être qu’il est tout négatif ; mais il faut bien s’opposer au mal dont on est menacé avant de faire le bien, ou plutôt pour pouvoir le faire.

Le ministère actuel, qu’il disparaisse aussitôt après les élections ou quelques mois après, qu’il se transforme ou qu’il reste tel qu’il est, aura créé la situation la plus périlleuse où nous ayons été depuis l’origine de la République. En introduisant le collectivisme au pouvoir, il a mis l’ennemi dans la place et il nous a condamnés à lutter longtemps contre lui dans des conditions où il semble s’être donné à tâche d’assurer notre infériorité. Le danger du jacobinisme n’est pas moindre. Placé entre l’un et l’autre, après les avoir imprudemment évoqués tous les deux, peut-être M. Waldeck-Rousseau s’est-il résigné à céder quelque chose au second pour échapper au premier. M. Millerand avait déposé un certain nombre de projets de loi, dont un surtout, celui qui organisait l’arbitrage et la grève obligatoires, aurait mis, s’il avait jamais été voté et appliqué, la révolution dans le monde industriel. M. Waldeck-Rousseau le sentait fort bien. Il a montré à plusieurs reprises qu’il avait des idées justes sur ces sujets délicats. Aussi n’a-t-il pas voulu que les projets de M. Millerand vinssent en discussion, et tout au plus lui a-t-il permis de faire un certain nombre de décrets, d’ailleurs très malencontreux, pour augmenter la puissance des syndicats et en faire les régulateurs patentés du travail. Mais alors il fallait remplir le temps avec autre chose.

M. Waldeck-Rousseau a mieux aimé sacrifier des congréganistes que des industries, et porter atteinte à la liberté qu’à la richesse