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troubles de la politique, pour qu’on lui permette de vivre en dehors d’elles pendant quatre ans. Or, pour combattre ceux qui veulent faire de la politique, il faut en faire soi-même, et c’est à quoi nous serons fatalement condamnés. Mais laquelle ? Une politique antiministérielle ? Soit : seulement, quand le ministère actuel ne sera plus là pour les concilier, il faudra bien que ses adversaires prennent eux-mêmes figure, et ils s’apercevront alors, s’ils ne s’en doutent déjà, qu’être antiministériel aujourd’hui ne dit pas ce qu’on sera demain. A la vérité, le suffrage universel ne porte pas ses yeux si loin. Il vit tout entier dans l’heure présente, et les réalités immédiates sont les seules qui existent pour lui. Qu’on le débarrasse de ce qui le gêne : on verra ensuite. Ceux qui lui parlent trop de l’avenir ressemblent à ses yeux au pédant de la fable adressant un discours à l’enfant qui se noie. Il est tenté de leur crier : « Tire-moi d’abord du danger ! » Il aime les simplifications les plus sommaires. Voilà pourquoi, dans une grande partie de la province, et à Paris même où les nationalistes occupent une si large place, les mots de ministériel et d’antiministériel, malgré ce que le second a de vague et d’incomplet, suffisent généralement à la lutte présente et sont ceux qu’on emploie le plus souvent. On peut le regretter, mais il en est ainsi.

Le mot d’anticollectiviste aurait, à nos yeux, quelque chose de plus précis : il est à croire, en effet, que la législature prochaine sera toute remplie par la lutte contre le collectivisme. En introduisant dans son gouvernement le chef parlementaire du parti, M. Waldeck-Rousseau a singulièrement avancé ses affaires. Il lui a donné des prétentions qui subsisteront longtemps. M. Barthou, dans son discours d’Oloron, se réjouit d’avance de ce que, au récent congrès de Tours, les collectivistes ont décidé qu’un des leurs ne pourrait plus désormais faire partie d’un gouvernement bourgeois : cela montre, entre parenthèses, le peu de confiance qu’il a dans ces gouvernemens eux-mêmes pour éliminer spontanément les collectivistes, puisqu’il compte de préférence sur ces derniers pour s’éliminer eux-mêmes. Cette caution, qui semble lui suffire, ne nous rassure pas beaucoup. Il y a longtemps que les collectivistes protestent plus ou moins dans leurs congrès contre la présence, d’un des leurs au ministère ; mais cela ne trouble en rien la parfaite quiétude de M. Millerand, qui n’a pas eu un seul moment l’idée de donner sa démission. Le parti, pour se tirer d’affaire, l’a mis en congé, ce qui arrange tout le monde. Rien ne nous prouve que, demain, un autre collectiviste n’entrera pas dans un autre ministère ; on en sera quitte pour le mettre aussi en congé,