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querelles, de luttes et de meurtres. Mais, là encore, l’art savant de l’auteur parvient à tout unir, à justifier tout.

Quant à ce qui constitue proprement l’action de son drame, sous cette agréable et ingénieuse musique dont il l’a enveloppée, je crains qu’on ne puisse lui reprocher de l’avoir également traitée à la façon d’un livret d’opéra, c’est-à-dire en sacrifiant l’expression des sentimens à l’effet extérieur. Ses deux héros ont toujours de beaux gestes, et souvent des paroles d’une douceur exquise ; mais ni leurs gestes ni leurs paroles ne nous permettent de deviner ce qu’il y a en eux qui les élève au-dessus de deux amans quelconques, poussés par un vulgaire désir dans les bras l’un de l’autre. Seule la scène de la tour, avec le raffinement de son symbolisme, nous fait entrevoir deux âmes d’une espèce plus haute, tendres et fières, ardentes, généreuses, telles que Dante nous a appris à les imaginer. Le dernier entretien des amans, au cinquième acte, n’est guère qu’un gentil duo, que d’ailleurs nous avons à peine le loisir d’écouter, tant nous angoisse l’attente de la catastrophe annoncée et préparée dès l’acte précédent. Et, bien que la scène de la lecture, au troisième acte, soit conduite avec une maîtrise dramatique extraordinaire, bien que, depuis l’ordonnance du décor jusqu’au rythme des phrases, tout y concoure à produire une impression de volupté délicieuse et tragique, c’est une scène d’une beauté pour ainsi dire générale, où la personne des deux amans n’a presque point de rôle.

Pas plus que les héros de M. Phillips, ceux de M. d’Annunzio ne sont le Paolo et la Francesca de la Divine Comédie. Le nom qu’ils portent ne fait que nous rendre plus sévères pour eux ; nous exigeons d’eux une perfection que, peut-être, aucun auteur dramatique n’aurait su leur donner, mais que certainement ne leur ont donnée ni M. Phillips ni M. d’Annunzio. « Toucher aux morts de Dante est décidément chose périlleuse. Malgré l’adresse et le talent du jeune dramaturge anglais, malgré l’incontestable génie poétique de M. d’Annunzio, — qui nulle part encore, je crois, ne s’est manifesté avec autant de variété, de charme, et de puissance que dans son nouveau drame, — nous continuons à ne connaître, des « désirs » et des « rêves » du couple de Rimini, que ce qu’il a plu jadis à Dante de nous en révéler.


T. DE WYZEWA.