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chercher dans son cœur : « J’ai mon cœur humain, moi ! » Musset, n’ayant connu que lui seul, n’a donc mis que lui dans ses pièces ; et, à force de hardiesse insouciante et de sincérité égoïste, il a fait rentrer dans la littérature théâtrale ce que les romantiques en avaient si outrageusement banni : la vérité.

Hymnes et méditations, la musique et les couleurs, satire, épopée, philosophie, le romantisme a jeté tous ces élémens dans le théâtre sans, arriver à les fondre avec lui. Il a essayé sans succès à la scène d’un composé mi-partie de lyrisme et mi-partie de drame, tandis que Musset réalisait une comédie toute lyrique et formée loin de la scène. Ceux des drames de Hugo et de Vigny qui n’ont pas péri valent par des mérites étrangers au théâtre, et les comédies de Musset ne sont pas du théâtre… Est-ce à dire que l’œuvre du romantisme au théâtre ait été tout à fait vaine ? Non certes. En passant par le théâtre, les écrivains romantiques s’y sont modifiés. Le lyrisme de Victor Hugo s’y est peu à peu dépouillé de ce qu’il avait de trop personnel ; en ressuscitant le décor des époques disparues, il s’est acheminé vers la fantaisie épique de la Légende des siècles. L’individualisme révolté de Vigny s’élargit en un pessimisme d’une valeur universelle. Dumas, libre enfin d’un ambitieux fatras, s’installe dans sa fonction de dramaturge et de conteur populaire. Ne disons rien de Musset, qui, en 1843, n’est plus que le « jeune homme d’un très beau passé.  » Sur les destinées elles-mêmes du théâtre, le romantisme n’a pas été sans influence : il a donné le coup de grâce à la tragédie moribonde ; la comédie de mœurs lui doit plusieurs de ses élémens, et quelques-uns d’ailleurs des plus fâcheux. Mais ce dont le romantisme a été incapable, ç’a été de créer un genre. On sait ce que c’est qu’une tragédie, une comédie, un mélodrame, un opéra, un vaudeville ; on ne sait pas ce que c’est qu’un drame romantique. Veut-on le définir ? on ne peut le faire que par des traits qui ne sont pas de l’ordre dramatique et qui d’ailleurs varient avec chaque auteur : notion décevante et qui échappe. Le drame romantique n’a jamais existé : peut-être est-ce pour cette cause que les discussions auxquelles a donné lieu son histoire sont restées toujours obscures. Une distinction assez facile à faire y mettrait un peu de clarté : c’est qu’il y a, dans l’histoire de notre théâtre, une période romantique ; il n’y a pas de théâtre romantique.


RENE DOUMIC.