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nos idées actuelles, mais qui n’en a pas moins subsisté pendant trois bons quarts de siècle[1].

Quoi qu’il en fût, comme tout le monde n’était pas militaire et que la nature ne garnissait pas également tous les crânes, le port de perruques invariablement poudrées, bouclées et bichonnées caractérisait les contemporains de Louis XV et de Louis XVI. Une scène des proverbes de Carmontelle nous prouve que même les mendians qui sollicitaient dans les rues la charité des passans se coiffaient de perruques. Du temps de M. de Sartine, les ornemens de tête se simplifient : la perruque, simplement crêpée, est divisée par une large raie perpendiculaire au front et quelques originaux commencent à délaisser la poudre.

Nous quitterons maintenant l’examen des habitudes de nos grands-parens pour nous rendre compte de la nature des ornemens factices dont ils chargeaient leurs têtes. En ce qui concerne le XVIIe siècle, Thiers ne ménage pas les renseignemens.

Il nous dit que les premières perruques portaient le nom de « calottes, » et qu’on les appelait aussi moins élégamment « teignasses » ou « tignasses ; » elles couvraient la tête des gens graves et doctes, des bourgeois de robe et plus tard des ecclésiastiques[2]. On peut rattacher à cette variété la célèbre coiffure de Chapelain que Furetière a immortalisée. C’était, en effet, une calotte de satin ou de velours épousant la forme du crâne, entourée d’un « calpin » ou « canepin » en épidémie de peau de mouton, adhérente à l’étoffe. Le long de cette bordure pendaient quelques rares cheveux longs et plats que l’ouvrier avait passés un à un dans le « calpin » au moyen d’une aiguille. Pendant la minorité de Louis XIV on commença à friser les cheveux des calottes, et pour ne pas trop faire attendre le patient on inventa les « têtes à perruques. » Plus tard un perruquier nommé Quentin imagine mieux encore et crée la perruque

  1. Cette coutume, — les mémoires anecdotiques du temps en témoignent, — favorisa bien des travestissemens, puisqu’une femme du XVIIIe siècle n’avait pas à couper ou dissimuler ses cheveux pour se faire une tête de gentilhomme, ni un joli garçon à s’embarrasser d’une perruque pour simuler une femme. L’habitude de se raser strictement d’une part, et le port habituel du fard de l’autre, facilitait encore la transformation.
  2. Dans la chanson du roi Dagobert, qui sent son XVIIIe siècle, saint Éloi, personnage vieux et semi-ecclésiastique, porte une « tignasse » au lieu que Dagobert se couvre d’une « perruque. » Qu’on nous pardonne de recourir à des textes aussi peu sérieux.