Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/835

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des risées, sa femme s’installer sur son trône et gouverner ses sujets à sa place. « Madame la Palatine, écrit Mme de La Fayette à la marquise de Sévigné, se mit sur le ridicule de M. de Mecklembourg d’être à Paris présentement ; et je vous assure que l’on ne peut mieux dire ! »

C’est alors que le Roi conçut l’idée d’utiliser l’influence de la belle duchesse, ses dangereuses séductions, son rare talent d’intrigue, pour agir sur l’esprit des petits princes allemands, ses parens et voisins, et les détourner de se joindre à la coalition qui se formait contre la France. Ceux qui furent notamment désignés à ses soins furent le prince-évêque d’Osnabrück, le duc de Zell, et, — le plus puissant de beaucoup, — l’Electeur de Brandebourg, « dont la femme, écrit Isabelle, est la belle-sœur du duc de Zell et prend son conseil sur toutes choses. » Les Archives de la Guerre contiennent, à ce propos, toute une correspondance entre Louvois et la duchesse[1]. On y trouve le détail des mille ressorts qu’elle met en jeu, des artifices surprenans qu’elle emploie, des peines qu’elle prend pour démontrer, comme le lui dit Louvois, « qu’elle est demeurée bonne Française, » pour servir en un mot les intérêts du Roi, tout en ménageant les siens propres. Cette période compte assurément parmi les plus brillantes de son étrange et diverse carrière. Son ambition triomphe ; elle jouit délicieusement de son pouvoir et de son importance, se pose en chef d’Etat, et même à l’occasion en général d’armée. Il faut entendre de quel ton elle parle de « sa cavalerie, » des douze cents hommes bien montés et bien équipés, qu’elle « conserve, dit-elle, avec tous les soins imaginables. » Elle espère « faire plaisir au Roi en les employant à son service, » et fait sonner haut son relus de « les prêter à des princes qui les pourraient tourner pour le service des Hollandais. » Au fond, son but secret est de les vendre à Louis XIV au plus haut prix possible ; et c’est à quoi elle réussit au mieux, malgré les lointaines remontrances, les vaines colères de son époux. Bref, son orgueil et sa cupidité trouvent également leur compte en cette nouvelle fortune ; elle se croit déjà pour de bon maîtresse à vie et souveraine absolue de la principauté de Mecklembourg-Schwerin ; et plus le rêve est beau, plus la déception sera grande quand un incident humiliant la ramènera soudain à la réalité.

  1. T. 273, 274, 279, 360, 361, etc.