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ennemis, » — Luxembourg n’hésite pas à mettre ses troupes en quartiers, sa cavalerie « dans la paille jusqu’au ventre, » s’emploie du mieux qu’il peut à « rafraîchir » l’armée, épuisée par une longue et laborieuse campagne. Mais sa nature active, sa remuante ambition s’accommodent mal de cette oisiveté relative. Dans cette région perdue, coupée, grâce aux inondations, de tout commerce avec le monde, îlot mélancolique au sein d’un marécage, il ronge son frein, bouillonne d’irritation fiévreuse, et s’épanche en malédictions moitié plaisantes, moitié sérieuses. « Il faut donc, mande-t-il à Louvois, que je prenne patience dans Utrecht, en enrageant de me voir inutile au service du Roi. Je n’oserais vous faire mes doléances là-dessus ; car, tendre comme vous êtes, vous en seriez fâché, — ou plutôt, rocher que vous êtes, vous n’en seriez point touché, dont je vous veux tant de mal que je ne vous saurais plus dire une parole ! » Un mois plus tard : « Nous n’avons ici d’autre occupation que d’écrire ; et, pour vous apprendre à m’y avoir laissé, je vous fatiguerai de mille missives. Je sais pourtant encore une chose à quoi nous pourrions nous employer : ce serait de nous baigner, car il n’y a endroit ici ou aux environs où l’on ne le puisse faire le plus aisément du monde, avec de la boue jusqu’au cou et de l’eau par-dessus la tête. Voilà à quoi l’on est réduit[1] ! »

Certains documens d’ordre intime nous renseignent encore sur quelques autres de ses ennuis. L’âge mûr, les « cheveux gris » dont il fait volontiers parade, n’ont pas éteint chez lui la chaleur des passions, du moins le goût des distractions galantes. L’amour, les amourettes plutôt, — car il ne comprend guère que le plaisir sans peine, — l’occupent et l’occuperont jusqu’au dernier jour de sa vie. Utrecht, à cet égard, est de maigre ressource. Un voyageur français qui, trois années auparavant, y fit un long séjour et cultiva, dit-il, « la société des dames, » trace de leurs mœurs un édifiant tableau : « Elles y sont civiles, écrit-il[2], assez sociables pour faire l’amusement d’un honnête homme, et trop peu animées pour en troubler le repos. Ce n’est pas qu’il n’y en ait de fort aimables. J’en connais qui ont de la bonne mine, de la beauté, le procédé raisonnable et l’esprit fort bien fait. Mais il n’y a rien à en espérer davantage, ou par leur sagesse,

  1. Lettres de juin et juillet 1673. — Archives de la Guerre, t. 325 et 335.
  2. Relation d’un Français établi en Hollande. — Mss. de l’Arsenal, recueil Conrart, n° 5422.