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peut passer la fraude. En effet, diverses possessions, dont la surveillance douanière est irréalisable, au moins actuellement, par exemple celles qui sont enclavées dans de vagues territoires insuffisamment délimités, — ont été placées en dehors de notre régime économique. Les produits étrangers y pénètrent donc en franchise et il suffirait de les réexpédier dans une de nos colonies à douanes, pour pénétrer notre enceinte économique sans acquitter de droits. Quoique fort amoindrie dans la pratique par le coût élevé des réexpéditions et des transbordemens, cette facilité offerte à la fraude est évidemment intolérable et on s’explique l’irritation qu’elle provoque.

L’affaire des guinées de Pondichéry a soulevé une émotion plus vive encore ; par respect pour une tradition commerciale dont l’origine est fort lointaine, la législation de 1892 a reconnu aux établissemens français de l’Inde le privilège d’introduire librement leurs cotonnades dans la métropole, sans préjudice du droit de les importer dans toutes nos colonies, en vertu du principe sus-énoncé. C’est surtout à la côte d’Afrique, et particulièrement au Sénégal, que vont ces tissus désignés de tout temps sous le nom de guinées. Cette situation privilégiée peut-elle donner lieu à des abus importans ? Cela ne fait pas doute aux yeux des auteurs du projet : « Ce n’est un mystère pour personne, dit, l’exposé des motifs, que des industries étrangères, à peine dissimulées sous quelques dehors français, se sont installées dans nos établissemens de l’Inde, à Pondichéry et à Chandernagor, » et ce sont ces industries qui bénéficient largement des avantages conférés par la loi de 1892. On propose donc : 1° d’appliquer le régime dit de la nation la plus favorisée aux colonies situées en dehors de notre action douanière (cela ne porterait en rien atteinte au traitement de réciprocité, puisque ces colonies ont tout le bénéfice d’une indépendance complète quant à leurs importations) ; 2° de supprimer la faveur spéciale accordée aux guinées de Pondichéry dans la métropole.

C’est là-dessus que les débats ont pris le caractère le plus âpre ; en dehors de la question de principe, il y a de gros intérêts particuliers en jeu. On a fort raisonnablement allégué du côté protectionniste qu’il était insensé d’ouvrir de nos propres mains une brèche dans les murailles que nous avons élevées à grand’peine contre la concurrence étrangère. On invoque, non moins justement, d’autre part, des droits acquis, fondés sur une tradition