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impardonnables troubleront l’âme du narrateur, décourageront l’admiration qu’on voudrait éprouver pour tant de vaillance et d’audace.

Cette fois d’ailleurs, Luxembourg, comme il dit, ne « s’amusa » que peu de temps à ces exécutions terribles. On était à l’après-midi ; de courtes heures, en cette saison, restaient avant la tombée de la nuit. Il importait de pousser vivement l’entreprise, et de mettre à profit le désarroi des Hollandais, sans laisser à leurs chefs le loisir de se reconnaître. « Bien que les troupes, écrit-il à Condé, eussent marché dix-neuf heures de suite, le tout à pied, et votre petit serviteur comme les autres, » il prit un corps de 1500 mousquetaires, les plus agiles et les plus résolus, et, suivant la chaussée du Rhin, continua sa route sur Bodegrave, confiant au marquis de Sourches le commandement du reste, avec ordre de joindre aussitôt que faire se pourrait. « M. de Luxembourg, lit-on dans la relation de Louvois[1], arriva à Bodegrave à trois heures de l’après-midi ; il la trouva abandonnée, mais avec tant de désordre que tout l’équipage de l’armée hollandaise y était encore, avec tous leurs canons et leurs munitions, parce que les canaux étaient encore trop gelés pour qu’ils pussent les recharger dans leurs bateaux. » Kœnigsmarck, en effet, hanté par l’inquiétude de se voir pris entre deux feux, n’avait fait que rallier les régimens restés au quartier général et fuyait par la route de Leyde, laissant « un si bon poste » à la discrétion des Français. « Ne trouvant plus personne, écrit le duc, je logeai dans le bourg toute mon infanterie,… et j’employai mon temps à visiter les forts et à voir ce qu’il y aurait à faire, » attendant avec impatience que le marquis de Sourches amenât de Swammerdam le gros du détachement.


III

La tâche de cet officier général avait été fort malaisée. Les troupes, exaspérées par la fatigue et les souffrances, aussitôt Luxembourg parti, perdirent toute discipline. Elles se dispersèrent dans le bourg, où l’ombre de la nuit voilà le plus affreux pillage. Les chroniques hollandaises, les images populaires et les estampes, — d’un art plus relevé, — du maître graveur Romain [2].

  1. 3 janvier 1693. — Archives de Chantilly.
  2. Louis-François du Bouchet, marquis de Sourches, 1639-1716. C’est l’auteur des Mémoires si connus.