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me suis point trompé au choix que j’ai fait de l’élite des troupes du Roi ! » Sans accepter pour authentique un langage si barbare, force est de confesser que l’espoir prochain du pillage, dans une contrée qu’on leur représentait comme « la plus opulente de l’Europe, » échauffa puissamment l’enthousiasme des troupes. On put les voir, sur l’heure, « faire provision de bottes d’allumettes, dont les uns emplissaient leurs chapeaux, les autres leurs pochettes ; et ils partirent aussi gaiement que s’ils fussent allés à des noces[1]. »

Dix heures du soir sonnaient quand on reprit la marche. Le détachement comptait environ 8 000 hommes de pied, qui formaient deux brigades commandées par MM. de Sourches et de la Meilleraye. La cavalerie entière et un bataillon d’infanterie furent laissés à Woerden sous M. de Gassion, avec ordre de s’avancer le long de la digue du Vieux-Rhin, si le bruit de la mousqueterie indiquait que les retranchemens fussent attaqués par derrière. Luxembourg ordonna que tous les officiers, sans aucune exception, abandonnassent leurs chevaux à Woerden. Lui-même donna l’exemple ; il se plaça à l’avant-garde avec le comte de Sault, « allant à pied et constamment en tête. » Il ne fallait pas moins pour maintenir le moral des troupes. Le temps, avec la nuit, était devenu « effroyable. » La neige tombait avec une nouvelle violence, s’amoncelait en couche molle, où les hommes s’enlizaient « au-dessus du genou. » Pliant sous le poids de cette masse, amincie au surplus par le radoucissement de la température, la glace, écrit Louvois[2], « faisait un bruit fort fastidieux (sic), en craquant perpétuellement, et enfonçant en certains endroits. » L’obscurité complète ajoutait à l’horreur de la situation. Par instans, une fissure s’ouvrait, engloutissait une forme humaine ; le sauvetage s’opérait à travers mille difficultés. Les marquis de Cœuvres et de Conflans furent « retirés par les cheveux. » M. de Douglas, lieutenant-colonel, ne dut son salut qu’à lui-même : « Il enfonça, dit Luxembourg, dans un trou où il eut de l’eau par-dessus la tête, et fut perdu sous la glace ; mais, ayant touché du pied la terre, elle le repoussa en haut. De sa tête, il perça la glace qui était au-dessus, et fut sauvé. » Il ne se noya, tout compte fait, qu’une douzaine de soldats.

  1. Lettre de Luxembourg à Louvois et à Condé. — Archives de la Guerre et de Chantilly. — Gazette de 1672. — Advis fidèle aux véritables Hollandais, etc.
  2. Lettre à Condé du 7 janvier 1673. — Archives de Chantilly.