Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieu d’envahir les territoires amis ou alliés ; puisse-t-il ne pas devenir l’Attila des colonies !

L’idée de la patente coloniale, telle que la présente le projet Boucher, recule les bornes du despotisme métropolitain bien au delà du point où les avaient poussées dans ses plus mauvais jours ce pacte légendaire, dont le seul souvenir dresse les cheveux sur les crânes ; s’il refusait aux colonies la liberté de se fournir dans les comptoirs de l’étranger, il ne les soumettait pas à l’obligation tyrannique de traverser les océans pour aller chercher en France les objets qu’elles avaient à portée de la main, ce qui, serait outrager les lois les plus élémentaires de la mécanique en même temps que celles de l’économie politique et de l’équité sociale. Le gaspillage d’efforts que comporterait un pareil détour se solde inévitablement par une perte sèche ; une telle opération serait donc désastreuse pour tous les participans et ne saurait profiter qu’à nos concurrens de l’extérieur, qui tiennent compte jusque dans leur gestion commerciale du postulat mathématique d’après lequel la ligne droite est considérée comme le plus court chemin d’un point à un autre : contraindre une colonie, qui peut faire chez elle des tissus bon marché à en chercher de semblables, mais plus coûteux, à l’autre bout de l’univers, c’est aussi absurde, mais de plus fâcheuse conséquence, que de se contourner la tête avec l’avant-bras pour se gratter le bout du nez. On n’édifie pas un régime économique sur une acrobatie.


III

Si la question se présente avec une netteté indéniable en ce qui concerne le droit pour une colonie de fabriquer librement ce qui lui est nécessaire, il n’en va pas de même pour deux points spéciaux fort délicats et dont la complexité a projeté une grande confusion sur le principe même du débat, qui s’en est envenimé.

C’est de là qu’est né le malentendu, c’est là que se sont émues les susceptibilités protectionnistes, et non sans motifs. Ces deux points sensibles, c’est l’exportation intercoloniale, et l’affaire des guinées de Pondichéry.

La loi de 1892 laisse une liberté entière aux échanges de colonie à colonie ; il y a là une fissure par où, dans certains cas,