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composées avec soin pour instruire en amusant, suivant le type qu’en a donné, avec la plus grande intelligence des besoins de la population rurale, M. Horace Plunkett, et sur lesquelles nous aurions, je crois, grand avantage à prendre modèle, nous autres Français, pour maint village de nos campagnes.


VII

A parcourir, comme nous l’avons fait, le cercle d’action de ce qu’on appelle le mouvement gaélique en Irlande, on se rend bien compte qu’il ne s’agit pas là d’une simple agitation artificielle et superficielle, mais d’un mouvement profond, puissant et durable de renaissance ou de restauration nationale, destiné à affranchir la nation irlandaise de la dépendance intellectuelle de l’Angleterre, à lui refaire une vie propre au point de vue mental et moral, économique et social, à faire revivre en un mot une Irlande digne de ce nom, une Irlande irlandaise.

L’Irlande lutte pour garder son droit à vivre, son droit à avoir une âme, comme a dit M. George Moore. Et, inconsciemment, elle lutte pour autre chose encore : elle lutte pour conserver au monde un faisceau d’idées, de traditions, de tendances, dont elle est la dépositaire responsable devant l’histoire, et, il faut le dire bien haut, de toutes les petites nationalités qui, en face du matérialisme grossier, utilitaire et corrompu de nos grandes sociétés contemporaines, semblent faites pour représenter les revendications non seulement du droit, mais du sentiment, de la beauté, de l’idéal, il n’y en a pas de plus digne d’être préservée que la très vieille et toujours jeune Erin celtique, car il n’y en a pas dont le génie soit plus élevé, plus généreux, plus spiritualiste, plus riche en grâce, en délicatesse, en piété, et dont il soit plus essentiel à l’avenir de l’humanité de développer une expression pleine, consciente et féconde.

Que cette culture périsse, ce serait un crime. Et, si l’on se place au point de vue de l’intérêt bien entendu de l’Angleterre, ce serait une faute. L’Angleterre a besoin d’une Irlande populeuse, où elle trouve à enrôler des soldats, d’une Irlande riche, qui rapporte au Trésor, d’une Irlande « loyale, » dont elle n’ait pas à redouter toujours la rébellion ou l’hostilité ; mais elle a besoin surtout d’une Irlande vraiment irlandaise et celtique, souverainement celtique. Le « celtisme » a sa part dans ce composé