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sentent plus autant qu’autrefois en (erre conquise : maintenant ils se voient raillés, montrés du doigt par les adeptes de la Ligue gaélique, pris à partie par des journaux satiriques comme le Leader ; une campagne de presse, de parole et d’action s’est organisée pour leur rendre, comme on dit, « l’atmosphère irrespirable, » pour battre en brèche les modes anglaises, les plaisirs et spectacles anglais, les façons et conventions, si étroites et vulgaires, de la vie anglaise ; et ce qui favorise fort cette campagne, c’est le succès inouï que rencontrent dans tout le pays les divertissemens irlandais organisés par la Ligue, les Seilge, les Sgoruidheachta, les Feiseanna, dont l’influence réformatrice ne saurait être estimée trop haut. Déjà on commence à délaisser le cricket. pour le jeu national celtique, le hurling, celui qu’on joue chez nous sous le nom de « la crosse ; » les sociétés de jeux gaéliques se multiplient ; les collèges et couvens commencent à se transformer selon l’esprit national, et, pour marquer d’un signe visible les progrès du mouvement, quelques Irlandais, suivant l’exemple donné par le fils du Lord Chancelier d’Irlande, se mettent à porter le costume national, non pas celui des paysans d’il y a cinquante ans, simple défroque du landlord, mais le vieux costume des Celtes et des Gaulois, braies serrées aux jambes par des lanières, tunique fermée avec une ceinture de cuir, et plaid ou saie de couleur jetée sur les épaules.

Ce qui pratiquement a plus d’importance, c’est l’essor industriel que l’on compte voir, que l’on commence à voir, sortir du mouvement gaélique. De tous les maux dont souffre aujourd’hui le pays, il n’y en a pas de plus grave que le manque d’industries, qui fait que, les bras ne trouvant pas à s’employer, l’émigration ne cesse de drainer les Irlandais hors d’Irlande. Pourquoi cette stagnation industrielle ? Ce ne sont pas les capitaux qui manquent, mais bien les capitalistes assez entreprenans, assez confians dans l’avenir de leur pays pour fonder sur le sol irlandais des entreprises nouvelles, pour faire travailler leur argent chez eux au lieu de le déposer en banque ou d’en faire profiter les compagnies anglaises du monde entier : donnez-leur l’esprit public, l’amour du sol, le sens de l’honneur national (comme tend à les leur donner le mouvement gaélique), il faudra bien alors qu’ils s’intéressent au développement économique de la nation et qu’ils mettent leur argent au service de l’Irlande et de la main-d’œuvre irlandaise. Ainsi l’on voit d’ores et déjà se