Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/794

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

irlandaise. Il y a un signe des temps dans ce fait que Dublin est redevenu un centre intellectuel assez fort pour arracher au public londonien, qui ne les intéresse plus, disent les uns, dont le goût est trop méprisable et bourgeois, disent les autres, bon nombre de ces littérateurs du groupe celtique, des romanciers et des dramaturges comme Edward Martyn et George Moore, et qu’à Dublin même, il a pu se fonder, il y a quatre ans, sous les auspices de ces deux écrivains et sous ceux de lady Gregory et de M. Yeats, un « théâtre littéraire irlandais. »

Ce n’était pas chose facile que d’organiser un théâtre à la fois national et littéraire à Dublin, où depuis longtemps le public n’était habitué à voir que des pièces à succès importées de Londres en droite ligne. Je sais bien que, pour commencer, l’on ne prétendait qu’à donner chaque année, dans une salle de location, une série de représentations dans l’esprit irlandais et sur des sujets irlandais. Les souscriptions, ou plutôt les « garanties, » affluèrent d’ailleurs très vite, et sur les listes de patronage se trouvèrent représentées les classes les plus diverses de la société : on pouvait y voir, côte à côte, les noms du grand agitateur William O’Brien et de son homonyme le chief justice d’Irlande, lord O’Brien, ceux d’un ex-fenian, M. John O’Leary, et d’un ancien ambassadeur de Sa Majesté britannique à Paris, lord Dufferin. Enfin, en mai 1899, la première représentation put être donnée avec Countess Cathleen de M. Yeats, pièce pleine de verve et de talent, malheureusement trop peu irlandaise de caractère et qui fit scandale par certaines peintures un peu vives et fort peu vraisemblables de la vie paysanne, celle-ci par exemple : un paysan brisant du pied une image de la Sainte Vierge ! Au contraire, on eut de vrais succès, cette année-là et l’année d’après, avec The Heatherfield d’Edward Martyn, The Bending of the Bough, satire politique très réussie de George Moore, une pièce symbolique de Martyn intitulée Maeve ; enfin, l’an dernier, avec un beau drame écrit, d’après la légende de Diarmuid et Grania, par G. Moore et W. Yeats.

Le malheur, c’est que ces pièces, écrites en anglais, ne donnaient toujours pas au théâtre littéraire irlandais le droit à la seconde de ses épithètes. Il n’était encore qu’un théâtre littéraire quand, au mois d’octobre dernier, M. Douglas Hyde y donna une comédie de lui, en irlandais, jouée par lui-même avec quelques amateurs, et intitulée Casadh an-t sugain, la corde tressée. Une