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un corrompu, ses principes n’avaient pas été assez forts pour lutter contre les ardeurs de ses passions ; mais, même alors, l’élévation naturelle de sa nature apparaissant jusque dans ses erreurs, il avait respecté, cultivé ce qu’il y avait de généreux et de probe en son amie. Maintenant qu’il n’était plus divisé contre lui-même, il cédait sans lutte à cette attraction du bien. Sa conscience adhérait à ces réformes qui étendaient en France la revanche de la loi chrétienne, il sentait le devoir d’établir une harmonie entre cet ordre de la vie nationale et l’ordre de sa propre vie, et les remords étaient nés dans son cœur où mourait le désir. Entre le chrétien qu’il redevenait et la païenne que restait sa compagne, la contradiction lui apparut fondamentale, inconciliable. En désaccord sur le but de l’existence, comment perpétuer la confusion de leurs existences ? Qu’il regardât le monde, elle ou lui, le devoir, l’intérêt, la satiété lui donnaient le même conseil. Sans discussions inutiles, sans querelles bruyantes, il s’évada de l’amour dans l’amitié.

En vain donc cette femme a, pour rendre ses passions plus libres, arraché de sa vie le devoir, elle n’a pu dévaster toutes les âmes comme la sienne, et son bonheur se brise contre cette borne du devoir demeurée debout dans la conscience de l’être le plus cher. Et la délaissée n’a pas même la consolation de penser que les bons propos sont fragiles ; que, s’il se croit autre, elle demeure la même ; qu’elle le saura reprendre. Il lui faut reconnaître qu’en lui, la vertu ne lutte pas contre l’amour, mais lui succède ; qu’il ne résiste pas au danger, mais ne le sent plus ; qu’il ne fuit pas la séduction, mais que la séduction l’a abandonnée elle-même ; que ni celui-ci ni aucun autre ne seront plus attirés vers elle ; que c’en est fait et pour jamais. Sa plus grande souffrance n’a été jusque-là que l’inconstance des tendresses trop fragiles : elle voit tout à coup devant elle la terrible stabilité du vide que laisse la fin du dernier amour.

Or il y a de ces âmes lianes qui ne peuvent se soutenir seules : où un arbre s’élève, elles s’élèvent avec lui, et le parent de leurs fleurs ; où il cesse de les porter, elles gisent à terre. L’âme flexible et enveloppante d’Aimée de Coigny avait besoin de s’enlacer autour d’une volonté et d’une tendresse d’homme. Elle n’avait pas passé un jour sans vivre de cet appui ou l’espérer. Si elle avait désiré tous les succès, c’était pour se rendre plus précieuse à un seul, pour lire plus de fierté dans les yeux