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le plus invraisemblable. Elle, triplement séductrice par le corps, l’esprit et le cœur, est toujours abandonnée, non seulement de ses pairs, mais de ceux que son affection avait été chercher le plus bas. Elle éprouve l’inconstance non seulement de ceux envers qui elle a des torts, mais de ceux envers qui elle est sans reproche, et, quand ce n’est pas son infidélité qui lasse, c’est sa tendresse. Elle n’a pas voulu être enchaînée aux affections, elle ne sait pas les retenir. Elle n’a pas deviné que la discipline du cœur est pour l’amour une protection autant qu’une contrainte, elle n’a pas compris quelle noblesse, quelle profondeur, quelle sécurité trouve l’amour à se confondre avec le devoir.

Malgré tout, elle garde sa confiance. Chassée des affections qu’elle avait crues durables, contrainte de chercher, d’aventure en aventure, un asile contre l’intolérable solitude du cœur, elle a comme une grâce d’oubli qui, à chaque expérience, efface de son souvenir toutes les leçons du passé. Elle retrouve, dès que bat son cœur, la virginité de ses illusions. Et chaque nouvel effort pour atteindre enfin à la tendresse ardente et durable ramène de nouvelles douleurs. Quelques jours d’ivresse et des années de désenchantement, telle avait été l’histoire de toutes ses passions jusqu’à sa rencontre avec M. de Boisgelin.

Là, elle avait enfin trouvé ce qu’elle cherchait, dans l’homme galant un galant homme, toutes les grâces de l’éducation, les délicatesses qui ne s’apprennent pas et sont les plus exquises, et la joie de satisfaire sa propre intelligence par une collaboration à une œuvre d’intérêt général. La morale, cette fois, semblait vaincue par le bonheur. Et c’est alors qu’elle prend sa revanche la plus cruelle et définitive.

Attendre, comme faisait Aimée, de l’attrait seul la durée des tendresses, c’était se promettre la durée de la grâce séductrice qui les avait formées, c’était compter sur la permanence de la beauté et de la jeunesse. Or, tandis qu’elle écrivait pour son ami l’histoire de leur effort monarchique, goûtait la joie d’associer leur union fragile à une œuvre de stabilité et s’efforçait de retenir le passé par ses souvenirs, il était emporté par le temps. C’est une méthode très grossière de compter ce temps par années, tant elles sont inégalement destructrices : les unes prolongeant sans dommage ce qui est le plus ancien, les autres rendant tout à coup lointaines les choses les plus récentes et semblant mettre un siècle entre hier et aujourd’hui. Aimée de