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conscience de dessin, une autre délicatesse de touche. Voilà comment le peintre s’est mis cette fois à son chevalet et a laissé, sur deux toiles égales et qui se font pendant, deux portraits achevés.


La princesse de Vaudemont est née Montmorency, de la branche véritable, à ce qu’elle dit. Elle a épousé un prince de la maison de Lorraine, dont elle est veuve. Sa figure était agréable dans sa jeunesse, elle avait l’air noble et une belle taille. Sans être romanesque ni galante, elle a eu des amans, et, sans chercher dans la musique les tendres et profondes émotions qui jettent dans une douce rêverie, elle l’aime avec passion. Mme de Vaudemont a la hauteur qui fait qu’on s’entoure de subalternes au milieu desquels elle se montre à la bonne compagnie, qu’elle ne perd point de vue. Elle a le goût le plus décidé pour la puissance sans songer à y participer, l’intimité des gens en place lui plaît, n’importe le gouvernement, et les changemens lui sont indifférens. Elle ne demande aux révolutions que de passer par sa chambre, sans s’informer où elles vont ensuite. L’égalité ne la choquait pas et le ton semi-théâtral, semi-camarade, de la cour de Bonaparte ne lui était point désagréable. Quoique son salon ait servi aux rendez-vous les plus importans et qu’elle en ait été témoin, elle n’en a jamais prévu les conséquences ; la preuve en est dans sa surprise lors de l’arrivée du Roi et du retour de Napoléon. Pourvu que ses petits chiens aient le droit de mordre familièrement les ministres et les ambassadeurs et que son thé soit pris dans l’intimité par les hommes puissans, le reste l’occupe peu. Amie zélée et courageuse, ses qualités se développent quand il s’agit d’être utile à ceux qu’elle aime, et elle ne manque pas alors de justesse et de prévoyance dans l’esprit : mais, dans la vie ordinaire, c’est une fatigue qu’elle ne prend jamais.


Voici Mme de Laval :


z vicomtesse de Laval, je ne sais pourquoi ni comment, vint à connaître Mme de Bellegarde, et elle en fit aussitôt ses esclaves, ce qui n’étonnera personne de ceux qui connaissent la vicomtesse. Elle est vieille maintenant, mais son esprit et ses yeux conservent un charme plein de jeunesse. Elle a tourné quelques têtes, ne s’est pas refusé une fantaisie, s’est perdue dans un temps où il y avait des couvens pour donner un éclat convenu à la honte des maris, et n’a évité cette retraite que parce que son beau-frère, le duc de Laval, a substitué le plaisir de l’afficher à celui de la punir par ce moyen. Je ne sais qui a dit que la réputation des femmes repousse comme les cheveux, la sienne en est la preuve. Maltraitée par les femmes considérables de son temps parce qu’elle traitait trop favorablement leur mari ou leurs amans, le divorce, qu’elle a subi et non demandé, l’a réconciliée avec les plus prudes. Changeant d’amant presque autant que d’années, cette habitude s’est établie en droit et celui de prescription à cet égard était dans toute sa vigueur lorsqu’elle s’est logée dans la même maison que le comte Louis de Narbonne, quoiqu’il fût marié. Les femmes les plus sévères vont chez elle, parce que le souvenir des torts de sa jeunesse est effacé ; elle était flattée des faveurs que l’empereur Napoléon répandait sur M. de Narbonne, son aide de camp, parce que les sourires de la fortune sont toujours agréables ; sa