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Elle prépare ainsi des collaborateurs aptes aux affaires publiques, et qui n’ont pas besoin d’elles pour vivre. Soit, si ces enrichis, mêlés à la noblesse de race et fortifiant par la puissance de leurs activités les traditions du corps où ils entraient, y eussent pris seulement la place faite à leur mérite par la confiance de leurs pairs. Mais borner la réforme de l’Etat à l’avènement d’une aristocratie parlementaire était rendre impossible l’organisation de cette aristocratie. Dans une France où n’a été restaurée l’autonomie d’aucun corps, comment rétablir un corps de la noblesse et lui donner une voix collective ? Il n’y a que des individus, donc des volontés individuelles. L’aristocratie de race et de fortune ne saurait gouverner que par le droit politique réservé à tout noble riche. Comment imposer à la France nouvelle un monopole politique au profit de la naissance ? M. de Boisgelin, n’osant revendiquer le droit du noble, ne stipulait que le privilège du riche. L’argent ferait électeur ; plus d’argent, éligible à la députation ; plus d’argent élèverait à la pairie. M. de Boisgelin se flattait que, grâce à la restitution de leurs biens, les nobles seraient les premiers de ces riches. Mais, d’après ses combinaisons, ce n’était pas de nobles, riches ou pauvres, c’était de riches, nobles ou roturiers, que serait composé le Parlement. Aussi exclusive qu’avait été la race, la richesse, même sans la naissance, devenait tout ; -la naissance sans la richesse, rien. Et le pouvoir qu’un aristocrate eût voulu préparer à l’aristocratie n’était donné qu’à l’argent.

Remettre le gouvernement à la richesse, et par le motif qu’elle donne l’indépendance, est d’une pauvre philosophie. La fortune rassasie-t-elle les avides d’honneurs, de pouvoir et même d’argent ? elle leur fait des loisirs pour désirer davantage ce qui leur manque, des chances pour atteindre plus facilement ce qu’ils désirent, et l’ambition plie l’échine des opulens aussi bas que celle des faméliques. Une aristocratie d’argent ne valait pas même l’ancienne noblesse où du moins la fierté des services rendus par les ancêtres à la grandeur nationale perpétuait une éducation de générosité, une intelligence du dévouement, un culte de l’honneur. Et si, malgré ces sauvegardes, cette noblesse avait si souvent oublié, exploité, opprimé la nation qu’elle devait servir et avait si mal contenu l’usurpation royale, combien l’égoïsme était-il plus à craindre d’une oligarchie censitaire ! La richesse, obtenue presque toujours grâce à l’application de toutes les