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patrimoine de leurs enfans, et, comme il est situé chez l’étranger, ils ruineront la France en efforts pour l’acquérir.

— Peut-être ces considérations-là, lui dis-je, pourront-elles décider à appeler M. le Duc d’Orléans. Quand une fois j’eus dit cette parole, étonnée du chemin que j’avais fait, j’ajoutai : « Eh bien ! trouvez-vous que je vous cède assez ? — Non certes, me dit-il, vous embrouillez toutes les questions et vous faites de la révolution. Vous prenez un roi électif dans la famille du roi légitime et vous introduisez la turbulence dans ce qui est destiné à établir le repos. Monsieur, frère du roi Louis XVI, est une chose : c’est une partie de la forme du gouvernement dont la légitimité est une des bases ! mais M. le Duc d’Orléans n’est qu’un homme, qui ne mérite pas le trône par ses services personnels et qu’on n’y placerait qu’en mémoire des crimes de son père. — Mais enfin, repris-je avec impatience, il ne faut cependant pas nous dissimuler que le Roi que vous demandez, afin de terminer les mouvemens révolutionnaires, est si blessé par la Révolution, tellement maltraité par elle, qu’il doit l’avoir en horreur, et les malheureux émigrés qui l’entourent, s’ils ont la puissance, voudront retourner la roue révolutionnaire dans l’autre sens, et, écrasant en toute justice et en conscience ceux qui ont écrasé, ils détruiront la race vivante. Est-ce comme cela que vous entendez le repos et la paix ?… — Mon Dieu, me dit M. de Boisgelin, que vous raisonnez mal ! Ce que vous dites aurait quelque apparence si, dans un moment de repentir et d’élan, le peuple français en larmes se prosternait aux pieds d’un roi Bourbon pour lui rendre sa couronne en se mettant à sa merci. Je ne répondrais point alors de la cruauté de ses vengeances, parce que je ne me fais garant ni de sa générosité, ni de sa force. Mais je ne parle que d’une combinaison d’idées dans laquelle la légitimité entrerait comme le gage du repos public, et d’une forme de gouvernement où le trône, ayant une place assignée, légale et précise, se trouverait partie nécessaire du tout, mais serait loin d’être le tout. Je demande que la représentation française se compose de deux Chambres et du trône, et que sur ce trône, au lieu d’un soldat turbulent ou d’un homme de mérite aux pieds duquel (comme vous l’avez bien observé) notre nation, idolâtre des qualités personnelles, se prosternerait, je demande, dis-je, qu’on place le gros Monsieur, puis M. le Comte d’Artois, ensuite ses enfans et tous ceux de sa race par ordre de primogéniture, attendu que je ne connais rien qui prête moins à l’enthousiasme et qui ressemble plus à l’ordre numérique que l’ordre de naissance, et conserve davantage le respect pour les lois, que l’amour pour le monarque finit toujours par ébranler.


« Je veux du nouveau, » concluait plaisamment le défenseur du droit historique, et c’était en effet du nouveau que ce royalisme où il y avait tant de confiance dans la monarchie et si peu dans le monarque. Les problèmes de gouvernement ne préoccupaient qu’un fort petit nombre de royalistes. Ce n’était pas la moins funeste conséquence de la royauté absolue que d’avoir désappris à la noblesse, autrefois si hardie, le courage intellectuel,