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— Eh bien ! lui dis-je, il ne faut plus le garder pour maître ; renonçons à lui et à l’Empire. — Il ne peut être ici question d’un Président, ni de Congrès comme aux États-Unis… Toutes les utopies qui noircissent le papier chez nous et qui ont rougi les places publiques pouvaient s’essayer là, sans inconvénient, où l’espace est immense, le peuple peu nombreux, jeune, uni, où l’intérêt commun n’est divisé ni par les amours-propres, ni par les souvenirs. Ici, il faut un gouvernement protecteur des intérêts de tous, où les lois posent les limites des pouvoirs, et dont la forme soit monarchique, les rangs distincts. Il faut un gouvernement où la discussion soit confiée à deux Chambres qui consentent l’impôt ; que la représentation repose sur la propriété : et que cette propriété, plus considérable dans la Chambre des Pairs, assure l’indépendance de ses membres, dont les titres et les droits doivent être héréditaires. Qu’on parte de partout à toute heure, j’y consens, pour arriver à ce grand but ; mais que la carrière qui y conduit soit marquée par de grands services, et par une grande fortune, qui rend bien plus sûrement indépendant toute sa vie que le plus noble caractère, sujet peut-être à des faiblesses. Dans ce gouvernement, dont la liberté doit être le résultat ou établira un trône héréditaire où sera placée une famille qu’on a eu l’habitude de voir dans l’exercice de la suprême puissance, afin que le respect dont elle sera l’objet ne soit pas dérisoire et que tout ambitieux qui se sent de l’audace et du talent ne nourrisse point l’espoir de s’emparer de cette première place. — Vous abandonnez donc, lui dis-je, toute idée de régence ?

— Je ne l’ai jamais eue, me répondit-il. Ce serait Napoléon le Petit substitué à Napoléon le Grand.


Dès 1812, un royaliste disait le mot de Victor Hugo crut trouver en 1852, et donnait contre « le règne d’un enfant de deux ans » la raison décisive. Napoléon fût-il écarté, si l’Empire est maintenu, l’influence passe à une féodalité de grands vassaux, hommes de guerre, d’administration ou de cour, dotés en revenus ou domaines étrangers, et qui, sous le nom d’un enfant, régneraient en France.


Ces personnes, qui tiennent leurs litres de la victoire et dont les services sont fondés sur les grandes aventures des batailles, craignent de reculer dans leur position particulière à chaque déroute, comme ils ont avancé à chaque triomphe ; car nos grands, que la défaite ruine et menace de ridicules métamorphoses, espèces d’êtres fantastiques dont le pied est paysan français et la tête comte, duc ou roi étranger, frémissent à l’idée de toucher le sol natal, comme si, par cette pression, le prestige de leur grandeur devait s’évanouir. Quel est celui qui, en entrant dans l’enceinte de la vieille France, pourrait s’écrier : « Rien n’est perdu de ce qui nous appartient, nos lois nous restent, nous sommes tous chez nous et Français ! « Joachim le roi de Naples revient en France, mais c’est Murat l’aubergiste ; peut-être même le prince de Suède, mais c’est Bernadotte le soldat ; le prince de Wagram, les ducs de Dantzig, de Bassano, mais c’est Berthier l’ingénieur, Lefebvre le soldat aux gardes, Maret le commis. Ils voudront ravoir ce qu’ils nomment le