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gouvernement pour chercher une direction. Le gouvernement, qui, lui, avait fort bien remarqué l’amendement et s’était rendu compte de son intérêt, a invité la Chambre à le voter, sans d’ailleurs se donner la peine de le justifier. On aurait de la peine à trouver un argument quelconque dans les brèves et sibyllines paroles prononcées à ce sujet par M. Leygues. A un tout autre moment de notre histoire parlementaire, une pareille question aurait été l’objet de débats approfondis. Tous les partis auraient été appelés à se prononcer en pleine connaissance de cause. La presse aurait reproduit et commenté les raisons données pour et contre. L’opinion, enfin, aurait pu se former. Cette fois, on a négligé toutes ces précautions, et le vote a ressemblé à un escamotage. Qu’a-t-on vu ? Un gouvernement qui se contentait de faire un geste, et une Chambre affolée dont les membres ne consultaient, pour la plupart, que leur intérêt personnel. Être réélus pour six ans, quel rêve ! En quelques minutes, l’agitation de l’assemblée a atteint son paroxysme. Les députés d’un même département se cherchaient pour combiner leurs votes. Les bancs de la Chambre ressemblaient à une fourmilière. L’hémicycle était envahi. Le bruit des conversations couvrait tout, excepté pourtant les cris d’indignation et de colère des radicaux et des socialistes, qui dénonçaient la grande trahison commise contre le suffrage universel. Le député voulait s’émanciper de l’électeur, reprendre un peu de sa liberté, se soumettre un peu moins souvent à l’épreuve qu’il subit aujourd’hui même et qui ne tourne pas à son honneur : cela était-il tolérable ? Nous trouvons, nous, que les six mois qui précèdent les élections pourraient assez convenablement s’appeler les saturnales des temps modernes ; mais les radicaux et les socialistes, eux, les regardent comme une période féconde et fructueuse, la seule où leurs projets aient chance d’aboutir, la seule où la terreur électorale dissipe tous les scrupules et détermine les volontés hésitantes, la seule enfin où l’on travaille. Aussi leur fureur était-elle extrême. La Chambre était comme une mer démontée, et le désordre est devenu plus grand encore lorsque le président a annoncé le résultat du scrutin. Le mandat de six ans avait été voté à une vingtaine de voix de majorité. Le vote était acquis, ou semblait l’être ; mais l’était-il réellement ?

Dès le lendemain, les journaux radicaux et socialistes ont manifesté une violente exaspération. Les journaux conservateurs ou réactionnaires ne se montraient pas moins sévères. La plupart des journaux républicains progressistes étaient pleins de réticences et de réserves : les uns étaient nettement hostiles au vote de la Chambre, les autres