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tant. Il voyait dans la religion une digue contre les dérèglemens de l’immoralité et de la révolution. Son instinct même de libéral, indigné par les violences, le reportait vers elle. Ses intérêts particuliers s’accordaient avec les souvenirs et les impulsions de son cœur. Les circonstances avaient changé ; il changea avec elles, sans calcul, en toute sincérité, en toute candeur. Il écrivit contre la révolution et la libre pensée ; on le vit provoquer la formation d’une société « pour la propagation des bons livres ; » il fit le censeur pour le compte du gouvernement, étroitement, férocement même. On ne saurait douter de sa bonne foi : cet excès subit dans la palinodie n’est pas le fait des habiles. Belli était convaincu. Il l’était jusqu’à médire du dialecte, qu’il appelait, en 1861, une « langue abjecte et bouffonne, » et jusqu’à avoir des remords de ses sonnets romains, qu’il voulait brûler. C’est son ami Mgr Tizzani, et un religieux, le P. Giacoletti, qui l’en empêchèrent. Pour faire pénitence, il se mit à traduire les hymnes du bréviaire. Il devenait de plus en plus misanthrope et dévot ; les salons amis ne voyaient plus que rarement son front haut, sa longue figure jaune et triste. Il mourut le 21 décembre 1863, laissant éparse dans la mémoire de ses amis et ensevelie dans ses papiers une œuvre dont on ne saurait exagérer l’importance. Car, révélée graduellement à partir de 1868, elle créa d’un seul coup la littérature dialectale romaine, et rendit, on peut le dire, à toutes les littératures dialectales d’Italie une force de vie et une fécondité qui ne sont pas près de s’épuiser.


E. HAGUENIN.