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de croire qu’il a fallu pour la produire une longue suite d’essais, et que l’œuvre de Belli est en une certaine mesure l’aboutissement d’efforts antérieurs, le dernier progrès qui les a couronnés. Il n’en est rien, Belli n’a vraiment pas eu de modèles, ni même de prédécesseurs. La littérature du peuple romain se borne à quelques refrains insignifians. Les poèmes écrits en dialecte sont fort rares : au XVIIe siècle, un poème de Peresio, Il Maqqio romanesco, et un poème de Berneri, Meo Patacca ; au commencement de ce siècle, une Passatella de Ciampoli ; quelques sonnets de circonstance. Le tout, de forme banale, d’inspiration classique, sans originalité, était peut-être inconnu de Belli, et en tout cas ne lui préparait nullement la voie. Les poèmes milanais de Carlo Porta furent pour Belli une occasion de connaître quel emploi artistique on pouvait faire d’un dialecte. Mais il faut considérer qu’avant même d’avoir lu Porta, Belli avait écrit déjà, vers 1820, plusieurs sonnets en dialecte, — qu’il n’a pas imité Porta, sinon seulement, et avec une grande liberté, en deux ou trois sonnets obscènes, — que son originalité d’écrivain ne doit donc rien au poète milanais. Ce qui lui manquait lorsqu’il le lut, c’était la conception d’une œuvre entière écrite en dialecte. Mais l’idée de prendre comme sujet de cette œuvre le peuple romain lui-même, — sans laquelle cette conception restait inféconde comme le plus sec des renseignemens d’histoire littéraire, et purement schématique, — cette idée appartient toute à Belli. Et il est édifiant de voir avec quelle clarté, presque subitement, elle s’est imposée à lui, — comme, dès le premier jour, il a su et dit ce qu’il voulait faire. Le 5 octobre 1831, au moment où il commençait à peine son œuvre, il écrivait à un ami : « Je retourne (à Rome) chargé de nouveaux vers populaires. Jusqu’ici j’ai cent cinquante-trois sonnets, dont soixante-six écrits depuis le 15 septembre. A les regarder dans leur ensemble, et en y joignant ce que je pourrai tirer encore des matériaux que j’ai réunis, il me semble que cette suite de poésies prend l’air de quelque chose, et pourra peut-être vraiment rester comme un monument de ce qu’est aujourd’hui la plèbe de Rome. » Bientôt après, transportant les passages les plus significatifs de cette lettre dans l’Introduction de ses sonnets, il le disait encore avec plus de résolution : « J’ai décidé de laisser un monument de ce qu’est aujourd’hui la plèbe de Rome. » Et, dans l’Introduction comme dans la lettre, il continuait en définissant les lois qu’il s’imposait : « Le nombre