Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/703

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les voisines. Les inquiétudes des unes, leurs prévisions, leurs projets, leurs souffrances, leurs plaintes, leur orgueil, — les conseils, les encouragemens et les admirations bénévoles des autres, sont pris sur le vif, et rendus avec une simplicité charmante : « Oh ! le bel enfant ! Et qu’est-ce que c’est ? Un garçon ? Ah ! toutes mes félicitations, sora Mèa[1]. Comment t’appelle-t-on ? Tiens ! comme le grand-papa : Andréa. Et quel âge ? Pas plus ? Eh ! à le voir, est-ce qu’on ne lui donnerait pas un an ?… Voyez, voyez, voyez comme il regarde sa sœur ! Ne dirait-on pas qu’il veut lui dire quelque chose, avec sa petite bouche toute rieuse ? Je n’ai jamais vu un petit diable comme celui-là. Que Dieu vous le bénisse, ma bonne, et vous en fasse vite un cardinal ! »

Mais comment traduire les interjections, les abréviations familières, les diminutifs caressans, — bocchettuccia risarella, la petite bouche rieuse, — les libertés et les inventions spontanées d’une grammaire docile à toutes les brusqueries, sensible à toutes les nuances ? La langue de ce peuple inculte, qui n’a guère lu que les Quatre-vingt-dix-neuf malheurs de Polichinelle (une vieille commedia dell’arte) et le roman de Paris e Vienna, et dont les souvenirs littéraires se bornent à des citations, généralement ironiques, de la Didon abandonnée ou de l’Artaxerce de Métastase, est une des plus savoureuses qu’ait jamais immortalisées une œuvre d’art : toute libre encore et non taillée, avivée d’argot, çà et là greffée de français et d’hébreu du ghetto, féconde en images et en proverbes. Pour en avoir quelque idée, il faut recourir encore à Rabelais, à son français débordant de sève et bourgeonnant de toutes parts, ou au grec d’Aristophane. Belli la garde telle qu’il l’a reçue, et, loin de l’appauvrir pour son usage, l’accroît encore de singularités nouvelles, ou, pour mieux dire, — car il n’invente rien, — y admet toutes les singularités individuelles qu’il a observées. Si c’est un juif qui parle, un suisse du Pape, un Anglais, il lui laisse son baragouin. Il copie le balbutiement des enfans, et des mères qui les imitent, les hésitations et les redoublemens cahot ans des bègues, les mollesses ouatées du zézayement, les affectations maladroites des valets de place, des commissionnaires, des espions de police qui prétendent aux façons des hautes classes et mêlent au dialecte les formes toscanes. Il transcrit les onomatopées, — pss, pfch, uà, prr, priffete, sci sci

  1. Signora Bartolommea.