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qui convient à ses personnages. C’est l’esprit qui manque aux hommes les plus spirituels, celui qu’avait Molière, « l’esprit des autres. » Les sonnets sont émaillés d’excellentes plaisanteries, dont il n’est aucune, — je mets à part les railleries politiques ou antireligieuses, — qui ne sente le terroir, et qu’on ne puisse lire sans imaginer aussitôt et malgré soi la physionomie de l’homme du peuple qui les prononce, son clin d’uni, son air détaché, mi-naïf, mi-malin, et jusqu’au ton de sa voix. Un voyageur raconte comment il a été traité dans une auberge, et la recommande à son auditoire : mauvaise cuisine, mauvais vin, mauvais lit, moustiques, puces, punaises et poux, — « et tout cela, conclut-il, pour pas bien cher. » Ce n’est rien, que cette ironie : au bout d’une longue énumération de déboires, c’est exquis. « Moi, dit un ouvrier, je ne ferais pas de mal à une bête ; j’aime mon prochain comme moi-même. » Mais cet énoncé du précepte évangélique est autrement majestueux dans son langage :

Amo er prossimo mio com’e mmè stesso.

Un autre compare le singe à l’homme. Il a aussi des pieds et des mains ; il peut faire le portefaix et le domestique, tout comme un chrétien ; on dirait, du dehors, qu’il n’y a aucune différence ; « et pourtant il y en a une si grande, au dedans ! Car le singe, le malheureux, n’a pas la liberté d’aller en Enfer ! » On parle d’une grande tempête. L’eau, le vent, le tonnerre, les cloches faisaient un vacarme à se boucher les oreilles avec les mains. Tout le monde avait peur, même le Pape. « Mais à Rome personne n’est mort, sauf un chien. C’est ainsi que le juste pâtit pour le pécheur. » Ce ton de pince-sans-rire, cette « blague » romaine si ingénieuse à user mal à propos des paroles de l’Écriture, et qui insinue la raillerie sous une grande phrase ou sous une réflexion grave, est largement répandue dans les sonnets de Belli. Elle les égayé à chaque instant d’une drôlerie qui n’est jamais factice, qui ne vient pas de l’auteur, mais des personnages mêmes, et qui flotte sur tout ce qu’ils disent comme l’âme de leurs discours. Veut-on des preuves plus raffinées encore de l’art délicat et délicieux de Belli ? Qu’on lise douze ou quinze sonnets, épars dans son œuvre, qu’il consacre aux « caquets de l’accouchée, » aux propos que tiennent les femmes enceintes ou les jeunes mères, et à ceux que leur tiennent les sages-femmes et