Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/701

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obscènes, et qu’à ce titre, pour décourager la luxure ou pour l’allécher, je ne sais, on vend séparément, sous enveloppe bien close, et trois fois plus cher que les autres. Mais vraiment on fait tort à ces sonnets en les enfermant ainsi en cabinet réservé. Ils ne sont nullement dangereux pour la morale publique. Comme les autres, ils expriment, sans recherche coupable, des goûts et des pensées populaires. Ils eussent gagné à se disperser dans le reste de l’ouvrage, au lieu de s’en séparer dans un isolement qui inquiète et qui messied à leur franchise. Ils n’appartiennent pas au musée secret de la littérature. Relevés çà et là d’une certaine finesse comique, riches de cette verve grasse qui faisait la joie du public d’Aristophane et de nos pères, ils n’ont rien d’affriolant ni de malsain. Leurs malpropretés, généralement fort vulgaires, sont massives ; leurs inconvenances, parfois drôles, sont naïves. Belli les a écrits comme les autres, pour « faire vrai. » C’est par ce souci de la vérité, du naturel, que Belli est réaliste. Il l’est par conscience d’artiste, comme tous ceux qui le furent sincèrement. Il l’est sans parti pris d’école ou de doctrine. Il l’est avec une merveilleuse souplesse, car la réalité est infiniment mobile, et l’écrivain soucieux de la représenter doit se modeler à ses caprices. Il l’est avec toutes les qualités actives que comporte cet effort d’observation, d’imitation et de traduction : attention, pénétration, finesse de l’intelligence, — abondance de la mémoire, — probité de l’imagination, — précision, vigueur, richesse de la langue, — netteté et variété du style.

Rien ne lui échappe de ce qui l’entoure. Les platitudes mûmes de la vie quotidienne sont reproduites par lui avec un art qui leur donne du prix, et une sorte de relief comique : le bavardage niais des gens qui se font des politesses en se rencontrant, se tendent leurs tabatières, se demandent des nouvelles de leur santé, et, après avoir beaucoup parlé, se quittent sans avoir rien dit ; — les discours décousus du conteur qui veut se faire entendre à demi-mot, ou du conseiller prudent qui hésite, se reprend, et n’a jamais l’air de se contredire, parce qu’il arrête toujours ses phrases avant le verbe. Il est aisé sans doute d’être vrai quand on peint la sottise. Mais Belli n’est pas seulement vrai, il est amusant. Il fixe les plus légères nuances du ridicule avec une sorte de délicatesse bouffonne. Il a deviné, après Rabelais peut-être, l’art des Henry Monnier, des Jules Renard et des Courteline. Ailleurs, là où il montre de l’esprit, il a juste celui